DOSSIER SAGASCIENCE, MARS 2018
Inerte ou vivant? La nature foisonne d’objets plus ou moins vivants que la science commence à peine à étudier.
Virus, viroïdes, virophages et autres plasmides forment tout un univers à l’interface de l’inerte et du vivant. Il devient dès lors envisageable que de telles entités se succédant sur la Terre primitive aient entraîné une évolution progressive de la matière inerte vers la vie. Reste à savoir où placer le curseur entre ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas. La reproduction, un métabolisme plus ou moins sophistiqué, un état de confinement proche de la compartimentation des cellules vivantes actuelles sont autant de notions qui servent à discriminer le vivant et l’inerte.
Ces manières d’appréhender le vivant sont aujourd’hui prises en défaut par toutes sortes d’entités inclassables, à l’instar des viroïdes. Sortes d’ARN nus sans capsule ni enveloppe, découverts au début des années 1970, ces structures pourraient être les vestiges d’une évolution pré-cellulaire qui aurait devancé les lignées cellulaires actuelles. Plus récemment, la découverte de virus capables de fabriquer des appendices protéiques de quelques centaines d’acides aminés, indépendamment de toute cellule hôte, a fait un peu plus vaciller le dogme d’une frontière nette et inamovible entre vivant et non-vivant.
L’évolution dans la continuité
La vie creuse son sillon sur notre planète sans interruption depuis plusieurs milliards d’années.
Les spongiaires, que l’on nomme plus communément éponges, sont les plus vieux représentants actuels du règne animal. Leurs ancêtres peuplaient déjà les écosystèmes marins il y a 760 millions d’années. Une existence exceptionnellement longue qui reste toutefois bien inférieure à celle des organismes unicellulaires colonisant certains milieux extrêmes déjà présents sur la Terre primitive, comme les sources hydrothermales sous-marines ou les lacs acides. Cette longévité, conjuguée à une relative stabilité évolutive, constitue une caractéristique commune à de nombreux systèmes vivants.
La cellule, mètre étalon du vivant
Pour fabriquer l’ensemble de ses constituants à partir des éléments chimiques présents dans le milieu extérieur, croître et se multiplier, la plupart des êtres vivants a besoin d’un niveau d’organisation minimum.
Depuis plus de 3,5 milliards d’années, la cellule constitue cette unité de base à la fois structurante et fonctionnelle. Formulée en 1839 par les scientifiques allemand Matthias Jakob Schleiden et Theodor Schwann, la théorie cellulaire stipule que tous les organismes vivants sont constitués d’une ou plusieurs cellules qui peuvent à leur tour être considérées comme les unités fondamentales de toute structure biologique. En outre, les cellules dérivent toujours d’autres cellules préexistantes et renferment l’information génétique nécessaire à leur propre fonctionnement ainsi qu’à la transmission de l’hérédité aux générations cellulaires suivantes. En tant que plus petit dénominateur commun des êtres vivants, la cellule matérialise aujourd’hui encore la limite entre l’inerte et le vivant pour beaucoup de biologistes.
L’eau c’est la vie!
Tous les êtres vivants partagent cette particularité d’être majoritairement constitués d’eau.
Des plantes qui peuvent en contenir jusqu’à 95%, aux mammifères, en passant par les poissons, des insectes jusqu’aux bactéries, aucun organisme ne déroge à la règle. Cela n’a rien d’étonnant: la molécule H2O accompagne l’incroyable saga de la vie depuis ses débuts. Que cette dernière soit apparue dans des étendues lacustres situées près de zones de fort volcanisme ou à proximité de sources hydrothermales sous-marines, deux des hypothèses actuellement avancées par la communauté scientifique, ces deux environnements ont en commun de contenir de l’eau liquide. Cet excellent solvant, déjà présent en grande quantité sur la Terre primitive, a pu favoriser les réactions chimiques entre les atomes les plus abondants. Le milieu aqueux a ensuite permis aux premières molécules organiques nées de ces réactions chimiques de se rencontrer, d’interagir et de s’organiser. Ces briques élémentaires ont pu trouver dans les océans primordiaux les conditions idéales pour évoluer vers les premières proto-cellules pourvues d’une membrane. C’est protégée par l’eau liquide des méfaits du rayonnement solaire ultraviolet que cette vie encore balbutiante a pu se complexifier.
Le carbone, cet atome « magique »
Hasard et nécessité, le carbone est à la base de toutes les formes de vie connues à ce jour.
Cet atome présente en effet bien des atouts. Ses liaisons avec d’autres éléments chimiques simples sont particulièrement stables dans un registre de température compris entre 0 et 100°C, coïncidant avec celui de l’eau à l’état liquide qui a servi de matrice à l’émergence de la vie.
Les quatre liaisons chimiques dont dispose le carbone lui permettent de s’unir facilement et sans véritable préférence avec l’hydrogène, l’azote, l’oxygène ou un autre atome de carbone. L’énergie mise en jeu dans la liaison qui unit le carbone à chacun de ces atomes est en outre peu contraignante. Autrement dit, le carbone ne s’associe pas nécessairement avec l’élément qui forme la liaison la plus difficile à rompre. Cette propriété unique lui confère la capacité de générer un large éventail de combinaisons moléculaires. Cela explique pourquoi le squelette chimique de chaque molécule organique (protéines, lipides, acides aminés, glucides,…) s’articule systématiquement autour de l’atome de carbone.
La difficile quête des origines
Déterminer avec précision le moment où la vie est apparue sur Terre reste un défi pour la science.
A l’heure actuelle, les plus anciennes traces avérées de son existence datent de 3,5 milliards d’années. Il s’agit de structures proches des stromatolithes actuels, ces dépôts calcaires formés par certains tapis bactériens. Ces preuves directes d’une vie ancestrale proviennent d’affleurements rocheux des régions de Pilbara, en Australie, et de Barberton, en Afrique du Sud. En 2016, les indices d’une activité microbienne remontant à 3,7 milliards d’années auraient été découverts au Groenland. Ces éléments restent néanmoins sujets à polémique, tout comme les filaments d’hématite découverts au Canada en 2017 dans les roches vertes de Nuvvuagittuq, sur la côte de la baie d’Hudson. Ces structures tubulaires, localisées dans des sédiments vieux de 4,2 milliards d’années, évoquent certains microorganismes des sources hydrothermales sous-marines actuelles.
Les preuves de l’existence d’une vie aussi ancienne sont donc plutôt minces. Les affleurements de roches peu altérées étant en outre quasi-inexistants au-delà de 3,8 milliards d’années, la probabilité de dénicher des traces d’une vie antérieure à cette période est très faible. Sans compter qu’à la même époque la Terre a subi un déferlement de météorites qui pourrait avoir effacé toute forme de vie primitive apparue au cours des 500 premiers millions d’années d’existence de notre planète. Quant aux traces datant de 3,5 milliards d’années découvertes en Afrique du Sud et en Australie, les moins controversées à ce jour, elles correspondent déjà à une forme de vie évoluée. De nombreuses étapes furent donc nécessaires pour passer d’une chimie simple à cette structure biologique complexe. Or la plupart des aspects de cette « biochimie prébiotique » reste un mystère.
Photo 1 : © blueberry interactive
Photo 2 : Embryons de souris aux stades 3 et 4 cellules. © H. Raguet/CNRS Photothèque
Photo 3 : © T. Perez/CNRS Photothèque
Photo 4 : Une caractéristique importante des cellules eucaryotes est leur compartimentation en organites spécialisés au sein desquels se déroulent des processus métaboliques spécifiques. Parmi ces organites on trouve le noyau, qui héberge l’ADN de la cellule. © CNRS/sagascience – réalisation : Blueberry Interactive
Photo 5 : Cheminées sous-marines dans la fosse des Mariannes, océan Pacifique. © Wikimedia commons – NOAA Photo Library/Submarine ROF 2006
Photo 6 : Structure cristalline d’une toxine. Comme pour toutes les molécules organiques, le squelette de cette protéine est organisé autour de l’atome de carbone. © Wikimedia commons/Domaine public
Photo 7 : Roche réputée pour être une des plus vieilles connues au monde (au moins 3,7 milliards d’années), elle provient de la zone d’Isua au Groenland et est unanimement reconnue comme étant d’origine sédimentaire. © T. Mamberti/CNRS Photothèque