RAPPORT SCIENTIFIQUE DU CNRS, JUILLET 2018
Le développement de nouvelles technologies, associé aux approches pluridisciplinaires, a permis des avancés spectaculaires des connaissances du vivant. De l’exploitation du monde microbien et la découverte de nouvelles formes de vie à la compréhension du fonctionnement du cerveau, le vivant connaît une véritable révolution.
Le développement des technologies, accompagnées par les sciences de l’ingénieur, la physique, les mathématiques, l’informatique ou la chimie, a permis des progrès multiples générant ainsi de nouveaux outils en génomique, imagerie du vivant, modélisation ou vectorisation. « La modélisation permet d’obtenir une meilleure compréhension des flux sanguins dans le cerveau et de confronter des observations obtenues par le filtre de l’imagerie et des phénomènes qui se produisent au niveau des vaisseaux », indique Pascal Auscher, directeur de l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions. « Une des clés dans les progrès de la chimie du vivant est le développement de la chimie analytique. On peut désormais observer in situ des événements biologiques, même s’ils sont rares ou brefs, explique Jacques Maddaluno, directeur de l’Institut de chimie. Nous avons identifié les principales populations de vésicules extracellulaires circulant dans le plasma humain. Cette connaissance aidera au diagnostic des maladies cardiovasculaires, inflammatoires, ou de certains cancers ».
La puissance technologique, tout en faisant progresser les connaissances, a entraîné des découvertes insoupçonnées avec l’exploration de formes de vie inattendues dans les océans, tout en lançant une véritable révolution du savoir en microbiologie. Qui aurait pu croire qu’un petit rétrovirus était à l’origine de la sexualité ? Pourtant c’est bien ce qui a été démontré avec la découverte de l’origine virale des protéines critiques déclenchant la fusion entre le spermatozoïde et l’ovocyte ! Des découvertes fondamentales, porteuses d’un riche potentiel d’applications en santé, ont également marqué l’année, notamment la structure atomique des systèmes permettant aux virus d’infecter les cellules et les connaissances du cycle de virus pathogènes, comme le VIH. « Nous connaissions l’existence de réservoirs de virus latents inactifs, mais nous n’arrivions pas à les détecter. La découverte de ces réservoirs et de leur marqueur protéique spécifique est non seulement fondamentale pour la connaissance du cycle viral mais représente également un véritable enjeu de santé », note Catherine Jessus, directrice de l’Institut des sciences biologiques.
Organisation 3D du génome et construction du cerveau
Des chercheurs ont constaté que la variation à de multiples échelles de l’architecture tridimensionnelle du génome garantit le bon développement du cerveau.
La structuration de la chromatine dans le noyau des cellules influence directement la fonction des gènes qu’elle porte. De nouvelles approches scientifiques permettent désormais d’établir avec une grande précision l’organisation tridimensionnelle de cet ADN chromatinien.
Des chercheurs de l’Institut de génétique humaine ont ainsi déterminé une cartographie à très haute résolution de la chromatine dans le noyau des cellules nerveuses du cerveau de souris en fonction de leur maturité. Ces travaux démontrent que les contacts qui s’établissent entre différentes zones du génome ne sont pas figés dans le temps car ils dépendent d’un ensemble de régulations.
Par ailleurs, si la plupart de ces réarrangements s’observent dans toutes les cellules nerveuses, quel que soit leur niveau de différenciation, certains demeurent liés au degré de maturité cellulaire. Cette organisation spécifique pourrait être en lien avec l’expression ou l’inactivation de certains gènes à un moment précis du développement cellulaire. Dans les années à venir, ces découvertes contribueront probablement à identifier les mécanismes de certains dysfonctionnements cérébraux. À l’image des troubles autistiques, fréquemment associés aux processus de remodelage de la chromatine.
Cell, octobre 2017
Un virus acteur de l’apparition de la vie sexuelle ?
Des chercheurs ont identifié la protéine HAP2, responsable de la fusion entre deux cellules sexuelles mâle et femelle, qui pourrait être l’héritage d’échanges génétiques très anciens entre virus et cellules. De nouvelles pistes de recherche à visées thérapeutiques sont ouvertes.
Chez les organismes eucaryotes, comme les plantes, les animaux ou les parasites, la vie naît toujours de la rencontre d’un gamète mâle et d’un gamète femelle. Or certains scientifiques considèrent que la fusion de ces deux entités relève du même mécanisme que l’infection d’une cellule par un virus. Une hypothèse que viennent désormais conforter les travaux d’une équipe internationale.
Leur étude s’est focalisée sur une protéine nommée HAP2 présente à la surface des cellules sexuelles mâles de la plupart des espèces eucaryotes. Après avoir déterminé la structure en trois dimensions de cette protéine chez une algue unicellulaire, les chercheurs ont pu démontrer que cette organisation structurale était indispensable pour engager la fusion avec le gamète femelle. En approfondissant leurs investigations, ils ont constaté que HAP2 présentait le même repliement tridimensionnel que certaines protéines virales dites de « fusion ».
Ces résultats conduisent à penser que HAP2 serait le résultat d’échanges génétiques très anciens entre virus et cellules eucaryotes. Sur un plan thérapeutique, ils désignent par ailleurs cette protéine comme une cible potentielle pour bloquer la transmission de pathogènes eucaryotes qui, à l’image de l’organisme vecteur du paludisme, y ont recours durant leur cycle biologique.
Cell, février 2017
Une protéine, vigie contre la tuberculose
Des chercheurs dévoilent le rôle capital de la protéine DCIR, capable de réguler la réponse immunitaire contre le bacille de la tuberculose. Ces travaux permettent d’envisager l’existence de composés chimiques visant à moduler l’immunité lors du traitement de la tuberculose ou d’autres maladies inflammatoires.
Avec plus d’1,5 million de morts recensés chaque année, la tuberculose reste la maladie infectieuse la plus meurtrière au monde. Une réaction immunitaire excessive provoquant la destruction progressive du tissu pulmonaire est la cause principale du décès des personnes infectées.
DCIR, un récepteur à la surface des cellules dendritiques
Afin de décrypter les rouages moléculaires en cause, des chercheurs de l’Institut de pharmacologie et de biologie structurale se sont intéressés à la protéine membranaire DCIR située sur les cellules dendritiques, une catégorie de cellules immunitaires. Ils ont d’abord étudié les mécanismes de la réaction inflammatoire chez des souris incapables d’exprimer cette protéine, après leur avoir injecté le bacille de la tuberculose. L’équipe a constaté que ces souris généraient davantage de lymphocytes T produisant l’interféron-gamma, une substance responsable de l’activation des macrophages, les cellules infectées par le bacille. Or, si cette cascade de réactions a pour effet de limiter la prolifération du pathogène dans l’organisme, elle accroît aussi l’inflammation au niveau des poumons qui se détériorent irrémédiablement.
La perspective de contrôler la réponse immunitaire
Ces résultats confirment de précédentes recherches qui avaient démontré que des souris saines dépourvues de protéines DCIR développaient plus souvent des maladies auto-immunes en vieillissant. Ils renforcent ainsi l’hypothèse selon laquelle ces récepteurs sont ciblés par des molécules émises par l’hôte en cas de réaction inflammatoire. L’ensemble de ces travaux laisse entrevoir la possibilité de contrôler la réponse immunitaire via des substances chimiques agissant directement sur les récepteurs DCIR. Il serait dès lors envisageable de stimuler la réponse immunitaire lorsque celle-ci se révèle incapable de combattre une maladie ou, au contraire, freiner l’inflammation avant qu’elle ne devienne incontrôlable.
PNAS, janvier 2017
Des perspectives pour la régulation de l’activité neuronale
La mobilité des récepteurs synaptiques est impliquée dans les processus d’apprentissage. Cette découverte est une percée dans la connaissance des mécanismes moléculaires de la mémoire.
Les récepteurs des neurotransmetteurs situés au niveau des synapses assurent la diffusion des messages nerveux dans notre cerveau. Ces petites structures protéiques se déplacent en permanence, modulant ainsi l’efficacité du signal nerveux.
À l’aide d’outils moléculaires capables de contrôler l’agitation de ces récepteurs, des chercheurs1 ont pu étudier l’influence de leur immobilisation sur des sections d’hippocampe en culture. En combinant des techniques de chimie, d’électrophysiologie et d’imagerie à haute résolution, ils ont démontré que l’absence de mouvement des récepteurs, dans cette région cérébrale jouant un rôle central dans la mémoire, empêchait de réguler l’activité neuronale.
Les scientifiques ont ensuite étudié l’impact du blocage de ces mêmes récepteurs chez des souris conditionnées pour s’immobiliser lorsqu’on les place dans un environnement qu’elles associent à la peur. Les rongeurs n’ont manifesté aucun comportement anormal, le blocage de leurs récepteurs synaptiques ayant court-circuité leur mémoire d’apprentissage.
Ces travaux ouvrent la voie à la compréhension d’autres mécanismes d’apprentissage dans le cerveau. Ils pourraient inspirer de nouvelles stratégies thérapeutiques visant à bloquer les souvenirs traumatiques chez les victimes d’attentats.
Nature, septembre 2017