CNRS LE JOURNAL, AVRIL 2019
Séismes, éruptions volcaniques, glissements de terrain… Un ouvrage collectif, rassemblant les expertises de volcanologues, de sismologues et de géophysiciens dresse un bilan des connaissances sur les phénomènes telluriques et leurs impacts potentiels à l’échelle du territoire français. Entretien avec Éric Humler, directeur-adjoint scientifique de l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS.
Quel fut le point de départ de l’ouvrage Quand la Terre tremble publié le 2 mai prochain chez CNRS Éditions, consacré à l’étude et la prise en charge des phénomènes telluriques et que vous avez coordonné avec Christiane Grappin ?
Éric Humler ¹ : Cette initiative de la communauté académique des sciences de la Terre découle du séisme qui frappa la ville italienne de L’Aquila, le 6 avril 2009. À la suite de ce tremblement de terre ayant fait plus de 300 morts et détruit une grande partie de cette ancienne cité médiévale située à une centaine de kilomètre au nord-est de Rome, la justice italienne a condamné à de la prison ferme sept sismologues. Ces scientifiques ont été accusés d’homicide par négligence pour ne pas avoir su prévoir l’ampleur du séisme. À l’époque, la communauté scientifique a été particulièrement choquée par cette décision. Nombre de chercheurs se sont d’ailleurs empressés de dénoncer un « précédent dangereux » au travers de pétitions. Après avoir été condamnés à six ans de prison en première instance, nos collègues italiens ont ensuite patienté plus de cinq ans avant que la cour d’appel de L’Aquila estime finalement que les faits qui leur étaient reprochés ne constituaient pas un délit.
Une telle situation pourrait-elle se produire en France ?
E. H. : La gestion des risques telluriques en France demeure une question trop peu souvent évoquée, si ce n’est pour souligner le manque de préparation, d’organisation de notre communauté, ou encore l’absence de liaison clairement établie avec les ministères et les autorités en charge de la protection civile et environnementale. À une époque où la parole des scientifiques est régulièrement remise en question par le grand public et alors que le rôle d’expert apparaît de plus en plus difficile à tenir, la question de la responsabilité des scientifiques en période de crise doit être plus que jamais débattue.
Sur le plan des risques telluriques, notre territoire semble malgré tout peu exposé à des séismes de forte intensité, tel que celui qui a frappé L’Aquila il y a dix ans ?
E. H. : En France métropolitaine, la plupart des catastrophes naturelles sont en effet liés aux inondations, aux crues, aux canicules ou aux tempêtes. Ce sont des événements récurrents qui peuvent se produire plusieurs fois au cours de la vie d’un individu. Les catastrophes telluriques telles que les éruptions volcaniques ou les séismes opèrent, quant à elles, sur des temps longs. À titre d’exemple, le dernier tremblement de terre d’ampleur catastrophique survenu en France a eu lieu le 11 juin 1909 à Lambesc, village des Bouches-du-Rhône situé non loin d’Aix-en-Provence. Bien que ce puissant séisme ait fait 46 morts, 250 blessés et détruit plusieurs milliers d’habitations, la population n’en garde aucun souvenir, car quatre ou cinq générations se sont succédé depuis cette catastrophe. En raison de l’intervalle de temps particulièrement important qui sépare deux phénomènes telluriques successifs, les risques inhérents à ces événements ont donc tendance à s’effacer de notre mémoire.
En France, de quelle manière les risques associés aux phénomènes telluriques sont-ils pris en charge ?
E. H. : Il convient tout d’abord de distinguer les activités d’observation qui correspondent aux tâches quotidiennes des chercheurs, enseignant-chercheurs, ingénieurs et techniciens entre 9 heures et 18 heures. Ce travail consiste à mesurer l’activité d’un volcan, la sismicité à l’échelle d’une région, les instabilités de pente en montagne ou bien encore à modéliser les effets d’un tsunami. En situation de catastrophe, ce sont les services du ministère de l’Intérieur qui prennent les choses en main à travers des dispositifs comme le plan Orsec. En dehors de ces deux cas de figure, il subsiste aujourd’hui une sorte de zone grise autour de la surveillance continue des phénomènes telluriques. Car d’un point de vue législatif cette activité ne fait pas partie des attributions des chercheurs qui travaillent dans les universités, au CNRS ou à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) ². De la même manière que dans un hôpital coexistent des médecins spécialistes qui exercent du lundi au vendredi et un service d’urgence fonctionnant 24h/24, 7 jours sur 7 et 365 jours par an, nous pourrions envisager de mettre sur pied un groupe d’« urgentistes » des risques telluriques dédié uniquement à la surveillance. Nous pourrions également nous inspirer du fonctionnement d’établissements publics comme Météo France ou le CEA qui sont tous deux habilités à mener des opérations de surveillances dans leur domaine de recherche respectifs.
Au-delà de l’aspect purement législatif, quelles sont les recommandations de votre ouvrage en matière de gestion des risques telluriques ?
E. H. : Il pointe en particulier une véritable dispersion de la chaîne du risque. À l’heure actuelle, pas moins de 13 partenaires institutionnels appartenant à 4 types d’établissement publics ainsi que 8 ministères différents travaillant sur le risque tellurique à l’échelle de notre territoire. Faire preuve de réactivité en cas de crise sismique ou volcanique devient dès lors plus compliqué. Afin de gagner en réactivité dans un contexte de crise tellurique, il convient donc d’organiser les relations entre l’ensemble des partenaires du paysage national.
À ce propos, l’épisode « sismo-volcanique » auquel est confronté l’île de Mayotte depuis plusieurs mois illustre parfaitement la manière dont devrait être orchestrée la surveillance des phénomènes telluriques.
E. H. : En l’espace d’un peu plus d’un an, 1 600 séismes se sont produits au large de l’île de Mayotte, dont une trentaine ont été largement ressentis par la population. Dès le début de cet épisode inhabituel dans cette région, la communauté scientifique s’est mobilisée à l’initiative du BRGM ³ pour comprendre les phénomènes en cours et leur évolution. Les observations accumulées jusqu’ici suggèrent un phénomène mêlant séismes et volcanisme sous-marin. Depuis février dernier, plusieurs missions à terre et en mer coordonnées par le CNRS, avec le soutien du BRGM, de l’IPGP, de l’IGN 4, de l’Ifremer 5, du ministère de la Transition écologique et solidaire et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation se sont par ailleurs succédé pour tenter de faire la lumière sur les mécanismes géologiques impliqués. Il s’agit aussi de mieux estimer les impacts potentiels pour pouvoir apporter des réponses claires aux habitants de Mayotte qui restent dans l’expectative. Pour notre communauté scientifique, ce fut l’occasion d’expérimenter une nouvelle forme d’organisation macroscopique inédite qui s’est révélée particulièrement pertinente dans ce contexte de crise.
Quels sont les moyens dont dispose la France en matière de détection des phénomènes telluriques ?
E. H. : Depuis maintenant plusieurs années, le territoire métropolitain dispose d’une infrastructure de recherche nationale dédiée à l’observation et à la compréhension de la structure et de la dynamique terrestre : le Réseau sismologique et géodésique français (Resif). Réunissant près de 800 stations de mesures permanentes déployées dans tout l’hexagone, Resif s’apparente à un vaste réseau d’observation comprenant des instruments sismologiques, géodésiques et gravimétriques. Il permet ainsi de mesurer l’activité du sol sur des échelles de temps allant de la fraction de seconde à la décennie. En outre-mer, nous disposons par ailleurs d’observatoires volcanologiques performants sur nos trois volcans actifs, à savoir le piton de la Fournaise à la Réunion, la montagne Pelée en Martinique et la Soufrière en Guadeloupe. L’observation progresse également du côté de l’étude des mouvements de terrain grâce aux travaux sur la dynamique des mouvements gravitaires (glissements de terrain, falaises à chutes de blocs…) menés par l’Observatoire multidisciplinaire des instabilités de versants (Omiv).
Dans ce domaine, qu’en est-il des avancées scientifiques ?
E. H. : Parmi les développements technologiques sur lesquels nous sommes en pointe figure la tomographie muonique, nouvelle technique d’imagerie. Cette technologie d’avant-garde consiste à placer des capteurs tout autour d’un volcan afin de piéger certaines particules qui traversent en permanence l’édifice volcanique afin d’en établir une sorte de cartographie interne. Au niveau du piton de la Fournaise, la mise en place d’une nouvelle méthode d’analyse reposant sur la mesure des gonflements imperceptibles de ce volcan actif permet aujourd’hui de prédire 100% de ses éruptions plusieurs heures, voire plusieurs jours avant qu’elles ne se produisent. Dans les années à venir, l’émergence de la sismologie ionosphérique laisse enfin entrevoir la possibilité de prédire avec un peu plus d’avance l’arrivée d’un tsunami. Lorsqu’un séisme survient, la plupart des ondes sismiques qu’il génère se propagent à l’intérieur de la Terre. Ces ondes vont toutefois se propager plus rapidement à travers l’atmosphère et l’ionosphère. En se basant sur ces signaux précurseurs, des études menées a postériori ont montré qu’il était possible d’anticiper l’arrivée d’un tsunami sur le littoral et ainsi de gagner du temps pour alerter les populations.
Face au changement climatique, la vigilance s’est-elle accentuée sur certains types de phénomènes comme les glissements de terrain ?
E. H. : Depuis une dizaine d’année nous disposons d’un réseau d’observatoires destiné à la surveillance des instabilités de versants qui peuvent en effet s’amplifier dans un contexte actuel de changement climatique à cause de la fonte progressive des glaciers de montagne ou d’un régime de précipitations plus soutenu. Dans ce domaine, notre ouvrage recommande par exemple d’augmenter et de pérenniser les bases de données, à la fois quantitatives et qualitatives, à l’appui d’épisodes représentatifs répartis sur l’ensemble du territoire. Le chapitre consacré aux phénomènes gravitaires revient également sur la nécessité d’aborder ces glissements de terrain en termes de probabilité. L’incitation à renforcer les liens entre recherche académique et gestionnaires des situations de crise reste enfin un aspect essentiel, comme pour l’ensemble des phénomènes telluriques.
Notes :
- Éric Humler est directeur-adjoint scientifique de l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS et chercheur au Laboratoire de planétologie et géodynamique (unité CNRS/Université de Nantes/Université d’Angers).
- Unité CNRS/Université Paris-Diderot/Institut de physique du globe de Paris/IGN.
- Pour Bureau de recherches géologiques et minières.
- Pour Institut national de l’information géographique et forestière.
- Pour Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer.
Photo 1 : Une équipe de l’Observatoire volcanologique du piton de la Fournaise installe 14 sismomètres sur le cône principal du volcan de l’île de La Réunion. Ce réseau d’instruments va permettre de mesurer et de suivre les éboulements qui ont lieu dans les cratères Dolomieu et Bory pour mieux les modéliser. © Thibaut VERGOZ/UMS-IPGP / CNRS Photothèque
Photo 2 : Vue aérienne de la région de L’Aquila, capitale des Abruzzes, en Italie, après le tremblement de terre du 6 avril 2009. © CORPO FORESTALE DELLO STATO / AFP
Photo 3 : Carte postale des ruines de la Bastide de Croignes à Lambesc, après le séisme du 11 juin 1909. Un siècle plus tard, la menace d’un séisme de grande ampleur plane toujours sur le sud-est de la France et les autorités tentent de sensibiliser la population à ce risque, notamment en matière de construction. © PAUL RUAT / SEISME 1909 PROVENCE / AFP
Photo 4 : Carte des instruments installés suite à l’appel d’offre TelluS-Mayotte lancé par le CNRS : en mer, 6 sismomètres fond de mer (étoiles jaunes), sur l’île de Mayotte, 3 stations géophysiques (S1, S2 et S3). Les points rouges et orange localisent les séismes enregistrés et le cercle vert délimite la prochaine position des sismomètres lors du redéploiement prévu dans quelques semaines. © IPGP
Photo 5 : Philippe Kowalski, volcanologue, surveille l’activité du piton de la Fournaise depuis la salle de « crise » de l’Observatoire volcanologique sur l’île de La Réunion, où sont centralisées et relayées les données enregistrées par une centaine d’instruments répartis sur 54 sites du massif du volcan. © Thibaut VERGOZ/UMS-IPGP / CNRS Photothèque