TERRE SAUVAGE, JUIN 2009
Si les pays du Sud attirent toujours plus de touristes occidentaux, les habitants sont rarement les premiers bénéficiaires de la manne financière ainsi générée. les projets écotouristiques locaux, que soutient le Fonds français pour l’environnement mondial, ont deux objectifs : répartir les bénéfices de façon plus équilibrée et favoriser la préservation de la nature.
Le tourisme est l’un des secteurs économiques qui connaît le plus fort taux de développement dans le monde (voir encadré ci-dessous). À mille lieues de l’industrie conventionnelle des loisirs, qui participe à la dégradation des milieux naturels, l’écotourisme tente de valoriser la biodiversité en y intégrant une dimension éthique. Cette forme de tourisme durable repose sur une idée forte : préserver la nature nécessite de mobiliser les populations locales. Partant de ce postulat, le FFEM – Fonds français pour l’environnement mondial – apporte, depuis quelques années, son soutien financier à des organisations non gouvernementales (ONG) locales, impliquées dans la mise en place d’initiatives de cette nature : l’Association de protection des hippopotames du Niger (APHN), en partenariat avec l’ONG française Noé Conservation, tente de réconcilier les communautés agropastorales avec la centaine d’hippopotames d’Ayorou. Dans cette région, à 200 kilomètres au nord-ouest de Niamey, le fleuve Niger avance dans une cuvette où ses eaux se dispersent en un entrelacs de canaux fournissant gîte et nourriture aux hippopotames. Sous la pression démographique, les fractions de berges ou d’îlots laissées en friche naturelle deviennent de plus en plus rares dans cette zone fertile de 8 000 hectares. Conséquence ? Face à la réduction de son habitat, l’hippopotame prélève désormais sa nourriture dans les rizières et les jardins vivriers des paysans, provoquant de vives tensions entre homme et animal. « La prise de conscience de la valeur écologique d’une espèce représente un pas difficile à franchir pour ces populations qui vivent au jour le jour et pour lesquelles il n’est donc pas évident de se projeter au-delà d’une saison agricole », rappelle Christian Noirard, chargé du programme Hippopotame pour le compte de Noé Conservation.
Un pilier de la biodiversité
L’hippopotame est indispensable à la préservation des écosystèmes africains de zones humides. Par ses nombreux déplacements, cette espèce, dite « clé de voûte », entretient le fonctionnement des canaux en évitant leur ensablement ou leur obstruction par la végétation aquatique. Avec les financements du FFEM, l’APHN a pu construire un gîte écotouristique dédié à l’observation des hippopotames. Cette structure fédère les guides et piroguiers de la région autour d’un tourisme écologique et dégage des fonds pour l’indemnisation des agriculteurs victimes des hippopotames. L’indéniable attrait touristique de ce mammifère a déjà permis la création d’une vingtaine d’emplois.
Un peu plus au sud, non loin du littoral atlantique béninois, le lac Ahémé héberge une grande biodiversité. La faune aviaire y est particulièrement bien représentée : héron mélanocéphale, balbuzard pêcheur, grande aigrette, cormoran africain , martin pêcheur… peuplent cette zone marécageuse située au cœur d’un site Ramsar*. À brève échéance, ce sont surtout les espèces de plantes ligneuses qui sont menacées. Parce que les habitants, pêcheurs pour la plupart, l’ont abondamment exploité pour la construction de leurs pirogues, le samba – Triplochyton scleroxylon – a quasiment disparu. L’iroko – Chlorophora excelsa – et le faux fromager – Ceiba pentandra –, s’ils ne sont pas en péril, sont déjà mal en point. L’activité économique de la région reposant presque exclusivement sur la pêche, la ressource halieutique se trouve en situation de surexploitation. Afin de la préserver, l’ONG Éco-Bénin œuvre, depuis 2004, au développement d’une forme d’écotourisme responsable. Pour sensibiliser les populations à cette démarche, l’association forme d’anciens pêcheurs ou agriculteurs au métier d’écoguide. Ils accompagnent ensuite les touristes sur l’un des dix circuits conçus avec l’aide des fonds du FFEM : balade en pirogue et apprentissage des techniques de pêche, observations ornithologiques, découverte du culte vodou, etc. L’an dernier, 300 touristes sont venus découvrir cette forme de tourisme atypique. Et près de la moitié des recettes engrangées a permis de rémunérer le travail des guides, un quart servant à la gestion de petits projets portés par les communautés locales. Mais la démarche écoresponsable d’Éco-Bénin ne s’arrête pas là. Les visiteurs accueillis sur place peuvent, en effet, compenser les émissions de CO2 générées par leur voyage en avion en participant au reboisement de la mangrove. Éco-Bénin espère ainsi replanter un million de palétuviers d’ici 2010. Le chenal, un site idéal pour l’observation des baleines à bosse.
À plusieurs milliers de kilomètres de là, l’île Sainte- Marie, située à quelques encablures de la côte est de Madagascar, vit au rythme des baleines à bosse durant l’hiver austral. Le chenal peu profond, qui sépare la Grande Île de Sainte-Marie, préserve ces grands cétacés des prédateurs et des courants de haute mer, en faisant un site idéal pour leur mise bas. Si le tourisme lié à l’observation des baleines à bosse a fait florès sur cette étroite bande de corail de 60 kilomètres de long, les communautés locales restent peu impliquées. Leur manque de sensibilisation à l’écologie des grands mammifères marins constitue un frein à cette appropriation. Pour combler cette lacune, l’ONG Megaptera tente de promouvoir un écotourisme durable géré par la population locale. Depuis le printemps 2007, des conférences en malgache ont déjà permis de sensibiliser plus d’un millier d’insulaires au mode de vie et à la biologie des baleines. Grâce au soutien financier du FFEM, l’association devrait mettre à l’eau le premier bateau dédié à l’observation des cétacés, entièrement géré par les communautés villageoises de l’île. Pour achever ce tour d’horizon des initiatives touristiques durables soutenues par le FFEM, faisons un crochet par le sud-est de Madagascar, où l’Association des populations des montagnes du monde (APMM) agit pour le développement progressif d’un tourisme responsable. Dans cette partie montagneuse de l’île, la forêt tropicale humide, mise à mal par l’extension anarchique de l’agriculture sur brûlis, est désormais protégée par des parcs nationaux. Depuis 2000, ces « points chauds » de la biodiversité sont reliés entre eux par de nombreux corridors biologiques. Celui qui unit les parcs de Ranomafana et Andringitra assure notamment la préservation des ressources en eau de l’île, plusieurs grands fleuves y prenant leur source. Ce sanctuaire de forêt primaire abrite aussi plusieurs espèces de lémuriens ainsi que le fossa – Cryptoprocta ferox –, un félin plantigrade. Mais ces corridors ne font pas toujours l’unanimité auprès des populations, tenues de limiter leurs prélèvements sur le milieu. « Toute l’habileté d’une démarche écotouristique, visant à préserver une espèce emblématique, réside dans sa capacité à la rendre plus attrayante vivante que morte », souligne Rémi Gouin, consultant sur le programme Petites initiatives du FFEM. Surexploité par les communautés rurales pour l’artisanat de vannerie, le pandanus est un arbre devenu rare. Pour éviter sa disparition, l’APMM veut faire en sorte que la moitié des revenus des ménages vivant à proximité ne soient plus issus de l’exploitation directe de la forêt mais de la mise en valeur de ses richesses naturelles par les villageois eux-mêmes. Un concept qui rencontre déjà un grand succès auprès des très nombreux touristes.
Sauver l’éléphant domestique pour préserver la population sauvage
Surnommé autrefois le « Pays du million d’éléphants », le Laos ne compte désormais plus que 2 000 de ces mammifères à l’état sauvage. Si l’avenir de cette population reste incertain, celui du cheptel domestique est encore plus sombre. Faute de naissances – sur les 560 individus que compte le pays, seules 46 femelles sont encore fertiles –, il risque de disparaître très rapidement. Au Laos, les éléphants domestiqués sont employés par l’industrie du bois pour sortir les grumes des forêts inextricables. Or ce travail pénible est incompatible avec la reproduction de l’animal. Un animal ne pouvant effectuer ce travail avant l’âge de 15 ans, l’élevage d’un éléphanteau représente un sacrifice financier auquel se refusent la plupart des cornacs. Partant de ce constat, l’association ElefantAsia les incite à se reconvertir dans la randonnée à dos d’éléphant. Contrairement au travail dans les exploitations forestières, cette activité écotouristique est une source de revenus compatible avec la reproduction des animaux. En se généralisant, elle pourrait même limiter la destruction de la sylve tropicale et participer ainsi à la conservation de la population sauvage.
Le tourisme responsable gagne du terrain
L’écotourisme aurait-il cessé d’être un concept flou pour l’homme de la rue ? Un récent sondage TNS Sofres, réalisé auprès d’un panel de 800 voyageurs, indique en effet que 59 % d’entre eux savent désormais de quoi il s’agit, contre à peine 27 % il y a un an. Bien que les trois quarts se disent prêts à tenter l’expérience, ils sont toutefois peu nombreux à mettre leurs convictions en pratique (7 % en 2008 et 2 % en 2007). De son côté, l’industrie touristique ne s’est jamais aussi bien portée. En 2006, elle a généré un chiffre d’affaires global de 4 860 milliards d’euros, en augmentation de 4,6 % par rapport à 2005. Et si le tourisme « durable » représente à peine plus de 5 % du secteur économique, ce marché de niche devrait croître de 25 % au cours des six prochaines années. Lorsque l’on sait que pour les 40 pays les plus pauvres de la planète, l’industrie touristique reste la deuxième source de devises étrangères, après le pétrole, on ne peut que se féliciter de l’émergence d’une forme de tourisme plus écologique.