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EN DIRECT DES LABORATOIRES, OCTOBRE 2015

Mettre en lumière le comportement des espèces face aux perturbations de leur environnement permet de mieux comprendre l’impact des variations du climat sur les écosystèmes. Telle est la démarche entreprise par une équipe de scientifiques du CNRS, du MNHN et de l’IRD qui étudie depuis le début des années 90 une colonie de manchots royaux de l’archipel de Crozet. En croisant les données accumulées au fil de ces années, sur le suivi en mer durant la reproduction et les paramètres démographiques de cette population d’oiseaux marins avec les anomalies climatiques affectant la température de l’océan dans cette partie du globe, les chercheurs ont démontré que ces dernières influençaient directement la survie de la colonie. Ces résultats publiés le 27 octobre dans la revue Nature communications suggèrent que l’élévation de température consécutive au réchauffement climatique pourrait contraindre le manchot royal à délaisser la région d’ici la fin du siècle.

L’archipel de Crozet, situé dans les Terres australes et antarctiques françaises, rassemble à lui seul près de 700 000 couples de manchots royaux soit plus de la moitié de la population mondiale de cet oiseau marin. Depuis plus de vingt ans, des biologistes du Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC – CNRS/Univ. La Rochelle), de l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC – CNRS/Univ. Strasbourg), du Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS/Univ. Montpellier/ Univ.Paul-Valéry Montpellier 3) et du Laboratoire d’Océanographie et du Climat : Expérimentations et Approches Numériques (LOCEAN – CNRS/UPMC/MNHN/IRD) étudient plus particulièrement une colonie de l’île de la Possession avec le soutien de l’Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV). En l’espace de 20 ans, les scientifiques ont ainsi recueilli de précieuses informations sur l’état de santé de cette colonie de 20 000 couples et celui des poussins qu’ils élèvent chaque année. En équipant chaque été jusqu’à une dizaine d’oiseaux adultes de balises Argos, les chercheurs ont également pu mesurer durant 16 saisons de reproduction, le temps qu’ils passent à pêcher en mer, la distance parcourue et l’itinéraire emprunté afin de trouver la nourriture pour eux-mêmes et leur progéniture.

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© Jean-Baptiste-Pons

Certains oiseaux ont également été munis de capteurs permettant de mesurer la pression et la température de l’eau ou le nombre de poissons capturés durant chacun de leur séjour en mer. « Nous avons ainsi constaté que l’essentiel des manchots royaux partaient se nourrir vers le sud à plusieurs centaines de kilomètres des îles Crozet jusqu’à dépasser le front polaire qui marque la frontière entre les eaux plus chaudes de l’océan Indien et les eaux froides de l’océan Antarctique plus poissonneuses », précise, Charles-André Bost, ornithologue CNRS au Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC – CNRS/Univ. La Rochelle) et coauteur de l’étude. Or cette frontière n’est pas figée. Sous l’influence de deux anomalies climatiques à très grande échelle, qui réchauffent de façon transitoire la surface de l’océan, le front polaire peut être repoussé plus ou moins loin vers le sud.

En recoupant les données sur le suivi à long terme des manchots royaux de l’île de la Possession avec les variations de température de la surface de l’océan mesurées au fil des ans, l’équipe a pu établir le lien entre ces perturbations climatiques, le comportement de prédation des oiseaux et la démographie de la colonie. Lorsque les deux anomalies climatiques se conjuguent, comme ce fut le cas en 1997, les eaux froides et poissonneuses se retrouvent si éloignées de la colonie que les manchots doivent couvrir une distance deux fois plus importante avant de les atteindre. Conséquence: en passant plus de temps en mer à la recherche de nourriture les oiseaux marins mettent en péril la survie de leur progéniture « Cette année-là à peine 10% des couples de la colonie sont parvenus à élever leur poussin », souligne Charles-André Bost.

Si de telles perturbations climatiques restent exceptionnelles, elles pourraient toutefois préfigurer ce que sera la norme d’ici 2100. Avec la hausse globale de la température terrestre, consécutive au réchauffement climatique, les eaux froides de l’océan Antarctique devraient s’éloigner durablement de l’archipel Crozet. « Si les vastes colonies de manchots royaux qui s’y rassemblent pour se reproduire risquent de déserter cette localité, elles parviendront peut-être à s’adapter en privilégiant des îles plus australes comme les Kerguelen », estime le chercheur du CNRS. La disparition du manchot royal de cette partie de l’océan Indien, aurait alors d’importantes répercutions tout le long de la chaîne trophique dont ce prédateur marin constitue un maillon essentiel.

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