CNRS LE JOURNAL, JUILLET 2020
L’objectif de la mission Mars 2020 : acheminer sur Mars le rover Perseverance pour y collecter des échantillons dans l’espoir d’y déceler des indices d’une vie passée.
Si la planète Mars reste une source d’inspiration inépuisable pour le cinéma hollywoodien, elle fascine tout autant l’Agence spatiale américaine (Nasa) qui en a fait son principal objet d’étude. Depuis le début des années 2000, la Nasa a ainsi conduit avec succès huit missions¹ destinées à étudier l’histoire géologique et climatique de la planète rouge. C’est dans la perspective de poursuivre ces investigations que l’imposante fusée Atlas V s’élancera très prochainement de la base de Cap Canaveral, en Floride. Au cœur de cette nouvelle mission baptisée Mars 2020 : le robot mobile Perseverance qui doit atterrir sur la planète rouge le 18 février 2021.
Bardé de caméras et d’instruments scientifiques de haute technologie, ce rover de la taille d’une voiture a pour ambition de répondre à la question qui taraude la communauté astrophysicienne depuis les prémices de l’exploration martienne : Mars a-t-elle pu abriter la vie ? « Après nous être focalisés sur la présence d’eau et l’habitabilité de la planète, Mars 2020 inaugure le troisième et dernier volet d’un continuum de missions martiennes qui sera entièrement consacré à la recherche de traces de vie fossiles », résume Sylvestre Maurice, astronome à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap)² de Toulouse.
Avec l’appui d’environ deux cents scientifiques, ingénieurs et techniciens issus de divers laboratoires associant le CNRS et les universités françaises³ ainsi que du Centre national d’études spatiales (Cnes)4. le chercheur a contribué au développement de la caméra laser SuperCam, l’un des sept instruments scientifiques qui équipent Perseverance. Reprenant nombre de caractéristiques de la ChemCam du rover Curiosity déployée sur Mars en 2012, SuperCam a été enrichie de nouvelles fonctionnalités comme les spectromètres Raman et infrarouge. « Parce qu’ils permettent d’identifier les liaisons entre les atomes et la façon dont les molécules sont organisées entre elles, ces techniques, les premières de ce genre à être utilisées sur le sol martien, permettront de repérer des structures complexes qui favorisent la préservation de bio-signatures dans les cibles pointées par SuperCam », explique Sylvestre Maurice.
Un ancien lac pour site d’atterrissage
Pour mettre toutes les chances de leur côté dans cette quête de bio-signatures martiennes, les scientifiques de la mission Mars 2020 ont choisi le cratère Jezero comme site d’atterrissage. Il y a environ 3,5 milliards d’années, cette zone de 45 kilomètres de diamètre abritait un vaste lac autour duquel convergeaient plusieurs deltas de rivières dont les vestiges sont encore visibles aujourd’hui. Cette présence très ancienne d’eau associée à d’importants dépôts sédimentaires fait de Jezero un terrain particulièrement propice à la détection de traces vie. Ce site d’exploration jouit en outre d’une grande diversité géologique qui permettra de mener à bien l’autre objectif prioritaire de Mars 2020 : la collecte d’une trentaine de carottes de sol et de roches reflétant toute la diversité géologique de la planète. « Une fois encapsulés dans des tubes métalliques stockés à l’intérieur du rover, ces prélèvements seront scellés puis déposés à même le sol afin d’être rapportés sur Terre lors d’une prochaine mission de retour d’échantillons programmée à l’horizon 2030 », détaille Sylvestre Maurice.
Pour réaliser cette campagne de prélèvements inédite, l’instrument SuperCam sera mis à contribution. Grâce à sa caméra couleur en haute résolution fixée au sommet du mât de Perseverance, le contexte géologique et environnemental associé à chaque échantillon de roche ou de régolithe pourra être déterminé avec précision grâce l’analyse réalisée par les trois spectromètres⁵ de l’instrument. SuperCam sera par ailleurs le tout premier instrument scientifique envoyé sur Mars à être doté d’un microphone. « En écoutant le son de l’impact laser sur les roches, à chacun de ses tirs, ce dispositif nous renseignera sur la dureté des différents échantillons géologiques ciblés, précise Sylvestre Maurice. Le micro sera également mis à profit pour capter le son des vents martiens et détecter d’éventuels points d’usure du matériel grâce à l’enregistrement en continu des bruits du rover. »
Un incident sur le modèle de vol
Ce véritable concentré de technologie qu’est la caméra laser SuperCam aura nécessité cinq longues années de travail au sein de plusieurs laboratoires de recherche français : « Si de l’extérieur l’instrument ressemble à la ChemCam de Curiosity que notre équipe avait déjà contribué à concevoir, il renferme trois technologies d’analyse supplémentaires dans un volume identique, ce qui a nécessité la miniaturisation de nombreux composants », précise Pernelle Bernardi, ingénieure-système au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (Lesia)⁶ et responsable des spécifications et des performances de la SuperCam. Un défi de taille que l’équipe française a relevé haut la main. Mais alors que la fabrication du modèle de vol destiné à être installé sur le rover est presque achevée, un passage de la partie optique de l’instrument en étuve, en novembre 2018, tourne mal. La température grimpe à près de 250 °C, bien au-delà des limites acceptables, « grillant » littéralement l’instrument.
Après une réunion de crise avec les responsables américains de la mission et des représentants du Cnes, la décision de reconstruire l’intégralité de la caméra laser est prise en utilisant notamment toutes les pièces de rechange disponibles. L’équipe française va alors travailler d’arrache-pied, jour et nuit, pour reconstruire l’instrument en à peine six mois, se payant même le luxe d’améliorer ses performances. « Le miroir primaire du télescope de la première SuperCam avait tendance à se déformer à froid ce qui avait pour conséquence d’élargir sensiblement le point de focalisation du faisceau laser infrarouge, détaille l’ingénieure au Lesia. L’incident de novembre 2018 nous a donc offert l’opportunité de remplacer ce miroir imparfait et ce faisant d’améliorer de manière significative la performance du tir laser. »
Achevée en juin 2019, cette version améliorée de la SuperCam a ensuite été acheminée jusqu’au Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la Nasa, en Californie, pour être fixée au sommet du mât du rover. « Nous nous sommes rendus sur place à plusieurs reprises au cours de l’année 2019 pour vérifier que les faisceaux laser de l’instrument étaient toujours parfaitement alignés lors de tests réalisés dans un contexte très proche de l’environnement martien, ce qui était bien le cas », souligne Pernelle Bernardi qui a reçu la médaille de cristal 2020 du CNRS pour son rôle décisif dans la fabrication de l’instrument. Quelques semaines avant le début de la crise du Covid-19, le rover entièrement assemblé avait rejoint le centre spatial Kennedy de Cap Canaveral pour être arrimé au véhicule de descente. Il a ensuite pris place dans la capsule qui pénétrera l’atmosphère martienne, cette structure étant elle-même attachée à un étage de croisière qui « conduira » l’ensemble jusqu’à sa destination finale. À l’abri derrière son bouclier thermique, Perseverance attend désormais le feu vert de la Nasa pour entamer son long voyage vers Mars.
Notes :
- Odyssey, MRO, Maven, Insight, Phoenix, Spirit, Opportunity et Curiosity.
- Unité CNRS/Université Toulouse Paul Sabatier/Cnes.
- La fabrication de la partie française de SuperCam a mobilisé les savoir-faire des personnels de l’Irap, de l’Observatoire Midi-Pyrénées (OMP – CNRS/Université Toulouse Paul Sabatier/Météo-France/IRD), du Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux (LAB – CNRS/Université de Bordeaux), du Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (Lesia – CNRS/Observatoire de Paris-PSL/Sorbonne Université/Université de Paris), du Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (Latmos – CNRS/Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines/Sorbonne Université).
- Le Cnes est maître d’ouvrage de la contribution française à SuperCam.
- Outre les spectromètres Raman et infrarouge déjà cités, SuperCam dispose d’un spectromètre d’émission atomique de plasma induit par laser (Libs) déjà présent sur ChemCam. Cette technologie autorise une analyse à la fois qualitative et quantitative de la composition chimique élémentaire de chaque échantillon géologique ciblé par le laser.
- Unité CNRS/Observatoire de Paris-PSL/Sorbonne Université/Université de Paris.
Photo 1: Illustration du rover de la Nasa Perseverance qui devrait atterrir sur Mars le 18 février 2021. © NASA/JPL-Caltech
Photo 2: Des ingénieurs installent l’instrument SuperCam sur le rover Perseverance au Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la Nasa, à Pasadena, en Californie, le 25 juin 2019. © NASA/JPL-Caltech
Photo 3: Vue du cratère Jezero, site d’atterrissage choisi pour la mission Mars 2020. Il y a 3,5 milliards d’années, cette zone abritait un vaste lac et des traces de vie microbienne fossilisée pourraient y avoir été préservées. © NASA/JPL-Caltech/MSSS/JHU-APL/ESA
Photo 4: Tête du mât de télédétection de Perseverance qui contient l’instrument SuperCam (JPL de la Nasa, 23 juillet 2019). © NASA/JPL-Caltech
Photo 5: Le bouclier thermique (à gauche) et la coque arrière (à droite) protègeront le rover jusqu’à sa destination finale. © LMS