REPÈRES N°44, JANVIER 2020
L’ESSENTIEL Lors de l’injection d’un médicament, celui-ci peut se diffuser en dehors de la veine. C’est l’extravasation. Quelles sont les recommandations pour prévenir cet incident et comment prendre en charge le patient s’il s’agit d’un médicament radiopharmaceutique ? TÉMOIGNAGE Une physicienne médicale du CHU de Lyon. INFOGRAPHIE Les mesures immédiates à prendre en cas d’incident. AVIS D’EXPERT Une spécialiste en médecine nucléaire de l’IRSN.
TÉMOIGNAGE – Perrine Tylski Physicienne en médecine nucléaire au CHU de Lyon (Auvergne-Rhône-Alpes)
« Si une extravasation est suspectée, le traitement est interrompu »
Dans la matinée du 21 septembre 2017, une personne de 70 ans est admise dans notre service pour recevoir une première perfusion lente de lutathera¹. Elle vise à traiter une tumeur de l’intestin grêle. L’injection est sur le point de s’achever lorsque l’infirmière supervisant l’acte médical constate un gonflement dans le pli du coude gauche du patient. Face à la suspicion d’extravasation, le traitement est immédiatement interrompu. Le bras est surélevé et enveloppé dans des pansements chauds pour favoriser la diffusion de la radioactivité. Une première scintigraphie de contrôle est réalisée dans la foulée. L’extravasation est confirmée au niveau du membre supérieur. À partir de la dose de lutathera injectée, de la première scintigraphie et d’une seconde réalisée cinq heures après l’injection, je réalise une estimation approximative de la dose absorbée au niveau du bras de 12 Gy²en fin de journée. Je communique ces informations aux experts de l’IRSN, qui réalisent une estimation indépendante, proche de la mienne. Le risque de nécrose – observé pour des doses supérieures à 20 Gy – et la nécessité d’un rinçage chirurgical sont alors écartés. Malgré ce résultat, nous demandons au patient de se masser le bras à plusieurs reprises durant la nuit, afin que le médicament continue à se disperser dans l’organisme. Le lendemain matin, deux scintigraphies de contrôle sont réalisées. Elles montrent que la radioactivité a été presque totalement évacuée du bras. Le patient peut rentrer chez lui. Il revient dans le service six jours, puis trois semaines après l’incident pour surveiller l’éventuelle apparition de séquelles liées à l’irradiation. Aucune n’a été détectée.
- Ce médicament radiopharmaceutique associe un atome de lutécium 177 à une molécule destinée à être capturée par des récepteurs chimiques situés à la surface des tumeurs.
- Exprimée en gray (Gy), la dose absorbée représente l’énergie que l’atome radioactif transmet à la partie du corps avec laquelle il entre en contact.
AVIS D’EXPERT – Aurélie Desbrée Spécialiste en médecine nucléaire du Laboratoire d’évaluation de la dose interne (LEDI)
Nous réalisons un calcul précis de la dose
Lorsqu’une extravasation est détectée, un calcul de dose est réalisé à l’hôpital. Le médecin, radiopharmacien ou physicien médical peut contacter l’Unité d’expertise en radioprotection médicale (UEM) via la plateforme Rpmed pour bénéficier de l’aide de l’IRSN. Nous réalisons un calcul précis de la dose reçue par le patient, à partir du niveau d’activité et du volume du médicament radiopharmaceutique (MRP). De spécialités différentes – physique et médecine nucléaire, chimie… –, nous disposons d’un savoir-faire en calcul de dose et connaissons les cas d’extravasation passés. Nous précisons la marche à suivre pour optimiser la prise en charge du patient. En 2018, l’Institut a formé des physiciens médicaux pour leur apprendre à réaliser eux-mêmes une évaluation dosimétrique précise. L’Institut et la Société française de radiopharmacie (SoFRa) devraient participer à un groupe de travail. L’objectif est de mettre à la disposition des professionnels des procédures pour limiter le risque d’extravasation. Une initiative importante compte tenu du développement actuel de la radiothérapie interne vectorisée, utilisant un éventail large de MRP.