JOURNAL DU CNRS, N°264, JANVIER-FÉVRIER 2012

Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette île en majorité couverte de glace est aussi une terre d’agriculture. En reconstituant son histoire, les scientifiques du projet Green Greenland ont pu mesurer l’impact de l’agriculture sur cet environnement extrême, depuis la colonisation viking  jusqu’à nos jours.

Marins intrépides et farouches guerriers, les Vikings étaient aussi de vaillants agriculteurs. Peu avant l’an mil, à la faveur de ce que les climatologues nomment l’optimum climatique médiéval1, une poignée d’entre eux débarque  à la pointe sud d’un territoire qu’ils baptisent Grønland, terre verte en danois, avec la ferme intention d’y développer l’élevage. En dépit des contraintes climatiques les colonies se développent rapidement, comptant jusqu’à 3000 individus répartis sur 500 fermes environ « Le projet Green Greenland a vu le jour dans l’idée de tordre le coup à l’image d’Epinal d’un Groenland médiéval couvert de forêts et de prairies», explique la climatologue Valérie Masson-Delmotte, du Laboratoire des sciences du climat et del’environnement2, qui dirige ce projet. Depuis le printemps 2011, quatre missions scientifiques ont ainsi vu se succéder climatologues, glaciologues, géologues, palynologues3, archéologues et même des psychologues dans l’extrémité sud du Groenland. L’objectif de ce travail pluridisciplinaire? Caractériser l’évolution passée, et actuelle du climat et de l’environnement dans la partie « verdoyante » de l’île, ainsi que la manière dont la population locale  appréhende ces changements. Le projet Green Greenland, qui doit se poursuivre jusqu’en 2014, a notamment pour vocation de mesurer la pression que l’activité agricole a  pu exercer sur cet environnement fragile, depuis son apparition au Xe siècle jusqu’aux années 1980, où les pratiques se sont intensifiées.
L’été dernier, l’équipe de paléo-environnementalistes du Laboratoire chrono-environnement4 est ainsi retournée au Groenland afin de poursuivre ses prélèvements dans les  couches sédimentaires de lacs comme celui  d’Igaliku: « Avoisinant une ferme moderne et des vestiges de l’ancien centre politique et religieux viking de Garðar, ce site témoigne de l’impact de l’agriculture passée et contemporaine sur le bassin-versant environnant. », signale la palynologue Emilie Gauthier, qui a participé à ces recherches. L’analyse des pollens et des microfossiles non polliniques met en évidence des défrichements, l’importation de plantes non indigènes et la pression pastorale liées à l’introduction de bétail. En parallèle, l’étude des carottes de sédiments révèle les conséquences des pratiques agricoles successives sur l’érosion des sols. L’évolution de la qualité des eaux du lac a aussi pu être évaluée en étudiant les diatomées, des algues microscopiques sensibles aux pollutions aquatiques présentes dans ces échantillons. Les résultats de ces analyses dont certains viennent d’être publiés dans Quaternary Science Reviews5 sont sans appel: «Ces trente dernières années, l’emploi de machines agricoles et l’épandage d’engrais sur les prairies de fauche ont davantage altéré les sols et pollué les eaux du bassin-versant du lac d’Igaliku que cinq siècles de pastoralisme viking. », constate Emilie Gauthier.
Alors que le Groenland doit désormais faire face à un réchauffement climatique beaucoup plus marqué que le reste de la planète certains scénarios annoncent une élévation des températures de l’ordre de 5°C d’ici à 2100les scientifiques du projet Green-Greenland ont également voulu savoir comment les agriculteurs percevaient ces bouleversements: «Les éleveurs adoptent pour la plupart une attitude pragmatique  vis-à-vis du changement climatique », remarque Valérie Masson-Delmotte . En dignes descendants du peuple Inuit, cette population estime pouvoir s’adapter très rapidement  à de brusques modifications de son environnement. A l’image de leurs ancêtres chasseurs nomades descendus du nord de l’île au moment du petit âge glaciaire. Celui-là même qui poussa les éleveurs vikings à quitter définitivement le Groenland au début du XVe siècle.

  1. Période de réchauffement transitoire qui affecta les régions de l’Atlantique nord entre les Xe et XIVe siècles.
  2. Unité CNRS/CEA/UVSQ.
  3. Scientifique qui étudie les pollens et les spores pour retracer notamment l’évolution du climat et l’impact de l’homme sur son environnement.
  4. Unité CNRSS/Université de Franche-Comté.
  5. Quaternary Science Reviews, janvier 2012, vol. 32, pp. 119-130.

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