EUREKA LORRAINE, MARS 2016
Neuroscientifique à l’Université catholique de Louvain, en Belgique, Aliette Lochy étudie les régions de notre cerveau impliquées dans l’apprentissage de la lecture. Le 23 mars prochain, à l’occasion de la conférence de clôture de la Semaine du cerveau, la chercheuse reviendra en détails sur les prouesses de ce « cerveau lecteur » et ses collaborations avec le Centre de Recherche en Automatique de Nancy.
Pourquoi peut-on parler de véritables prouesses à propos des régions cérébrales qui régissent cette activité ?
Aliette Lochy: Chez le lecteur avancé, c’est-à-dire toute personne maîtrisant la lecture, il faut en moyenne 1/5e de seconde pour reconnaître un mot, avoir accès à son sens et l’intégrer dans une phrase. Notre système visuel ne serait cependant pas capable de telles performances sans le réseau de connections neuronales particulièrement sophistiqué qui lui permet d’analyser ces informations en un temps record.
En quoi consistent vos recherches sur le cerveau lecteur ?
A.L.: Au cours de l’apprentissage de la lecture, ces séries de symboles arbitraires que sont les lettres vont peu à peu être associées à des sons par notre cerveau. Mon travail vise à comprendre comment celui-ci parvient à analyser ces symboles pour les assimiler à des mots qui font sens. Mes recherches ont également pour objectif de savoir dans quelle mesure ces apprentissages induisent des changements dans le fonctionnement cérébral.
Quelles méthodes employez-vous pour mener à bien ces investigations ?
A.L.: J’analyse la reconnaissance visuelle des mots principalement chez les jeunes enfants âgés de 5 à 6 ans. Pour cela, je leur fais visionner à une fréquence très élevée des suites de symboles ou de pseudo-mots parmi lesquels se cachent de véritables mots. Pendant qu’ils se prêtent à cette expérience, des électrodes placées sur leur cuir chevelu enregistrent de manière parfaitement indolore l’activité électrique de leur cerveau. Les électroencéphalogrammes (EEG) ainsi obtenus aident à déterminer à partir de quel âge se mettent en place les mécanismes cérébraux impliqués dans la reconnaissance visuelle des lettres.
«Suivre les étapes successives du traitement de l’information par leur cerveau visuel»
Dans le cadre de vos recherches, vous collaborez notamment avec le CRAN et le Centre hospitalier universitaire de Nancy. En quoi consiste ce double partenariat ?
A.L. : Pour traiter les formes d’épilepsies résistantes aux médicaments, les neurologues du CHU de Nancy implantent parfois des électrodes dans le cerveau des patients concernés. Ils peuvent ainsi obtenir des informations précises sur la zone cérébrale à l’origine de leurs crises. En soumettant ces patients à des exercices de lecture, je peux, grâce à ces électrodes intracérébrales, suivre les étapes successives du traitement de l’information par leur cerveau visuel dans des zones que ne permettent pas d’explorer un simple EEG. Ce travail que je mène avec les chercheurs du CRAN est essentiel pour identifier toutes les régions du cerveau impliquées dans le processus d’apprentissage de la lecture.
Vous étudiez par ailleurs ce trouble de l’apprentissage de la lecture qu’est la dyslexie dans le but de mettre au point une nouvelle forme de diagnostic. De quoi s’agit-il ?
A.L. : Aujourd’hui, il faut attendre deux années d’apprentissage formel de la lecture pour pouvoir repérer un trouble dyslexique chez l’enfant, soit aux alentours de 8 ans. On sait par ailleurs que les difficultés d’apprentissage de la lecture chez ces enfants résultent de leur incapacité, vers l’âge de 5 ans, à associer des sons et des lettres. Je travaille donc à la mise au point d’une nouvelle forme de diagnostic basée sur l’EEG pour pouvoir détecter ce disfonctionnement dès qu’il se manifeste. En combinant ce nouvel outil aux méthodes comportementales déjà employées par les psychologues, il serait alors possible de repérer plus précocement les enfants dyslexiques. Or il faut savoir que la dyslexie est d’autant plus facile à corriger que son diagnostic est précoce.