JOURNAL DU CNRS N°252-253, JANVIER-FÉVRIER 2011

Classé parmi les dix meilleurs scientifiques français par la revue Nature en termes de publications, ce virologue vient de recevoir le Grand Prix Inserm 2010.

Carrure imposante, cheveux en bataille et verbe haut posent immédiatement le personnage, qui n’est pas sans évoquer un certain Olivier de Kersauson. « J’étais encore lycéen à Marseille lorsque j’ai décidé de tout plaquer pour passer un peu de temps sur les océans, d’abord sur un bateau de la marine marchande, puis sur des voiliers, que j’ai acheminés d’un continent à l’autre pour le compte de leurs propriétaires », révèle Didier Raoult. Un rapide coup d’œil à la décoration de son bureau suffit pour comprendre qu’il n’a pas pour autant embrassé une carrière de capitaine au long cours. Point de photos de voiliers emblématiques accrochées aux murs, mais les couvertures des plus prestigieux journaux scientifiques – Nature, Science, The Lancet, The Journal of Infectious Diseases… – présentant ses plus belles découvertes. À croire que la soif de connaissance et de reconnaissance de ce médecin et directeur de recherche au CNRS n’est toujours pas assouvie. De retour dans la cité phocéenne au début des années 1970, le jeune navigateur consent à reprendre des études. Son bac littéraire en poche, il entre à la faculté de médecine, non pas parce qu’il rêve de devenir praticien hospitalier, mais parce que ce sont les seules études que son père accepte de financer : « Aujourd’hui, cela m’amuse beaucoup de me dire que j’ai finalement choisi d’exercer ce métier alors que la médecine n’était pas du tout une vocation », confesse Didier Raoult. Appelé par l’armée durant son internat, il est envoyé à l’hôpital Mamao-Papeete de Tahiti. C’est sans doute là, dans la moiteur tropicale de cette île pacifique où le médecin soigne pour la première fois des patients atteints de la dengue ou du paludisme, que naîtra sa vocation de grand explorateur des maladies infectieuses.

L’ÉTONNANTE DÉCOUVERTE DES VIRUS GÉANTS
Animé par une curiosité grandissante pour l’étude des microorganismes pathogènes, renforcée par cette première expérience de terrain, Didier Raoult finit par créer, à Marseille, en 1984, sa propre unité de recherche. Son sujet d’étude : les rickettsies, une famille de bactéries, encore mal connues, responsables du typhus. « À cette époque, la communauté scientifique commence à se désintéresser de ces maladies qui n’ont plus cours sous nos latitudes », se souvient-il. Le médecin a donc le champ libre pour se faire un nom dans le domaine. Il choisit d’explorer les zones d’ombre de la microbiologie et de la virologie, où aucun chercheur n’a encore osé s’aventurer : « Pour faire des découvertes surprenantes, il faut savoir quitter les autoroutes de la connaissance et ne pas hésiter à emprunter des voies secondaires », assure-t-il. C’est justement en suivant l’un de ces chemins de traverse qu’en 2003 une équipe dirigée par Didier Raoult découvre un étrange virus qui va définitivement asseoir sa notoriété dans le milieu de la virologie. Jusqu’ici, la détection de nouveaux virus reposait sur le principe quasi empirique de la microfiltration. Mise au point par le biologiste français Charles Chamberland en 1884, la technique permet de laisser passer tous les organismes dont la taille est inférieure à 0,2 micromètre. On discrimine ainsi les virus des bactéries, trop grosses pour pouvoir franchir la barrière du filtre. Didier Raoult et son équipe ont eu l’intuition d’aller examiner cette improbable zone frontalière. En analysant des échantillons issus d’une tour aéroréfrigérante, ils font cette curieuse découverte : un virus géant logé dans une amibe2. « En dépit de nos observations au microscope, nous avions alors du mal à nous persuader qu’il s’agissait bel et bien d’un virus tant cet organisme reprenait les caractéristiques d’une bactérie », s e r appelle le chercheur. Le mimétisme est si troublant que les scientifiques baptisent leur découverte Mimivirus, contraction de Mimicking Microbe Virus, littéralement le virus imitant un microbe.

LA CHASSE AUX PATHOLOGIES RARES
D’autres trouvailles aux noms tout aussi facétieux ne tardent pas à suivre. Comme Spoutnik, le premier virus satellite capable d’infecter un autre virus, Mimivirus en l’occurrence, et dont la description est publiée en 2008 dans la revue Nature. Ou encore Marseillevirus, un autre virus géant isolé en 2009 dans une amibe, qui peut échanger son matériel génétique avec d’autres microorganismes hébergés par le protozoaire. Il y a deux ans, fort de ces résultats scientifiques retentissants, Didier Raoult prend la direction de l’Unité de recherche sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes (Urmite), à Marseille. Sous sa houlette, une centaine de scientifiques et de techniciens qui cultivent les microorganismes avec la dextérité d’un horticulteur chevronné. S’appuyant sur du matériel de pointe – le laboratoire est le premier en Europe à disposer d’un séquenceur automatique de gènes –, l’équipe de Didier Raoult est déjà parvenue à identifier et à décrire 94 agents pathogènes. L’unité est en outre devenue un centre de référence mondiale pour certaines pathologies rares comme la maladie de Whipple ou la fièvre Q. Partageant désormais son emploi du temps très chargé entre l’enseignement des maladies infectieuses à la faculté de médecine de Marseille, ses consultations à l’hôpital de la Timone et ses fonctions représentatives au sein de l’Urmite, Didier Raoult trouve encore le temps de publier près de cent articles par an : « En tant que littéraire, je ne me lasserai jamais d’écrire », confie-t-il simplement.

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