GRAND PARIS INFOS, AUTOMNE-HIVER 2015
Longtemps à la traîne en matière d’urbanisme durable, tant vis-à-vis d’autres métropoles françaises que de certaines agglomérations européennes, le Grand Paris voit désormais les projets labellisés EcoQuartiers et autres Nouveaux quartiers urbains se multiplier sur son territoire. Reste à savoir si ces nouvelles manières d’appréhender l’aménagement urbain seront en mesure de réinventer la ville.
Depuis maintenant plusieurs années le terme “écoquartier” est entré dans le langage courant. Souvent associé aux énergies renouvelables et aux innovations architecturales, ce type d’habitat revêt pourtant de nombreux autres aspects. « Résumer l’écoquartier aux innovations techniques reviendrait à limiter le développement durable à l’architecture », souligne Catherine Charlot-Valdieu, économiste et responsable de l’association Suden pour la promotion du développement urbain. Considérés comme les laboratoires de la ville de demain, les écoquartiers peuvent en effet prendre en compte d’autres critères tels que la mixité sociale et fonctionnelle, leur intégration à la ville existante ou les processus de concertation menés auprès des habitants. En l’espace de quatre à cinq ans, ces quartiers que l’on qualifie aussi de durables ont essaimé à travers toute l’Ile-de-France. Un engouement tardif impulsé à la fois par les appels à projets « Nouveaux quartiers urbains » (NQU) initiés par la Région à partir de 2008 et le label EcoQuartier. Lancée la même année par l’État pour répondre aux engagements de la loi Grenelle II, cette démarche doit inciter les collectivités à promouvoir des projets d’aménagement plus durables. « Entre les quartiers ayant répondu aux trois appels à projets NQU lancés par le conseil régional et ceux engagés dans la démarche de labellisation EcoQuartier, on dénombre aujourd’hui une centaine de projets revendiquant le statut d’écoquartier », constate Thomas Philippon, directeur d’Ekopolis, le pôle de ressources francilien pour l’aménagement et la construction durables.
DES QUARTIERS EXEMPLAIRES…
D’AUTRES MOINS
Pour autant, tous les écoquartiers n’affichent pas les mêmes ambitions en termes de mixité sociale et fonctionnelle ou de performances environnementales. Encore plus rares sont les projets qui adoptent une approche à la fois globale et transversale de l’aménagement. « Sur la trentaine de projets que nous avons eu l’occasion d’analyser plus en détails, seuls quelques-uns proposent des réflexions de ce genre, précise Thomas Philippon. C’est par exemple le cas du quartier Hoche, à Nanterre, qui a mis en place une coopérative habitante pour les familles éligibles au logement social tout en mutualisant le fonctionnement de sa chaufferie à bois afin qu’elle alimente également une cité voisine ». Parvenir à ce que ces bons élèves de l’aménagement urbain fassent école est l’un des défis que devra relever le Grand Paris pour construire la ville durable à l’échelle de son territoire. Mais alors que se profile la mise en chantier des premières gares du Grand Paris Express, la plupart des écoquartirers actuellement en construction manquent encore de cohérence territoriale. En Ile-de-France, il en va en effet des quartiers durables comme de la plupart des aménagements urbains: souvent limités au périmètre opérationnel, ceux-ci ne tiennent pas compte d’une réflexion à plus grande échelle empêchant ainsi le rapprochement entre projets voisins. « On a malheureusement encore trop tendance à limiter la démarche de développement durable de l’écoquartier à la réduction de l’impact environnemental simplement parce que ce genre d’approche thématique, qui n’implique pas une longue phase de concertation préalable, est plus rapide à mettre en œuvre », déplore l’économiste Catherine Charlot-Valdieu.
L’ÉCOQUARTIER MOTEUR
DE LA VILLE DURABLE
Si les écoquartiers franciliens sont donc encore loin d’atteindre le niveau d’excellence des quartiers durables d’Europe du Nord certains projets n’en demeurent pas moins ambitieux. En offrant à la fois densification et mixité de l’habitat, des aménagements d’envergure comme les Docks de Saint-Ouen ou la Zac de Clichy-Batignolles, marquent le territoire de la petite couronne parisienne de leur empreinte tout en apportant des réponses concrètes à un enjeu crucial du Grand Paris qu’est celui la pénurie de logements. D’autres projets de dimension plus modeste, à l’image de la Zac Anatole France, à Chevilly-Larue, se sont positionnés sur une stratégie très économe et transversale de requalification urbaine où la mixité sociale côtoie un usage raisonné des ressources. Ces réalisations qui ne peuvent être érigées en modèles de l’habitat durable doivent néanmoins être perçues comme des “quartiers-vitrines” dont les aménageurs et les promoteurs devront s’inspirer s’ils veulent inventer de nouvelles manières de travailler ensemble. « Le label EcoQuartier va servir de levier à la construction de la ville durable au sens large pour que les projets d’aménagement urbain respectant les principes du développement durable ne soient plus l’exception mais deviennent la norme », assure Emilie Bonnet-Derivière, chef de la Mission développement durable à la Direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement d’Ile-de-France (DRIEA).
METTRE L’HABITANT
AU CENTRE DU PROJET
Conçu comme un outil national visant à promouvoir les meilleurs projets d’écoquartiers et propager ainsi la culture de la durabilité à travers l’Hexagone, ce label aurait, selon ses détracteurs, un intérêt limité à l’échelle de l’Ile-de-France. Cette exception française – notre pays est le seul en Europe à disposer d’un tel label – aurait pour inconvénient d’enfermer l’aménagement durable dans des modèles préétablis, sans tenir compte de l’adaptation aux différents contextes locaux. Mais Emilie Bonnet-Derivière s’en défend : « pour se voir décerner le label EcoQuartier un projet d’urbanisme doit être bon sur un large éventail de critères, et son intégration à la ville existante comme la concertation avec les habitants dès l’amont du projet font désormais partie intégrante des critères de sélection ». Dans les prochains mois, l’usage que les habitants feront de leur quartier devrait d’ailleurs s’inscrire dans un processus d’évaluation a posteriori lancé dans le cadre du label EcoQuartier. Une telle démarche permettra d’améliorer la prise en compte des critères qui, du point de vue des habitants, définissent au mieux l’écoquartier tout au long de son existence. En attendant, en dehors du traditionnel triptyque aménageur/promoteur/architecte, les concertations autour des projets de quartiers durables impliquent encore trop rarement leurs futurs habitants. Or, comme aimait le rappeler le célèbre urbaniste François Ascher, décédé en 2009, « les architectes et architectes urbanistes ne devraient plus concevoir la ville seuls ». Une vision iconoclaste de l’aménagement qui pourrait bien devenir la norme dans les années qui viennent.