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SPORT ET VIE HORS SÉRIE, N°40, JUIN 2014

Les transports sont l’une des causes majeures de pollution de la planète. Chacun de nos déplacements s’effectue au prix de gros nuages toxiques. Et les sportifs ne sont pas en reste. Loin de là!

Le chiffre est saisissant. Chaque seconde, 158 personnes embarquent dans un avion quelque part dans le monde. Soit plus de 5 milliards au total par année. Pour les transporter, 11.500 litres de kérosène doivent être brûlés par seconde. Plus d’un milliard de litres par jour. C’est énorme! Et pourtant, on estime que le transport aérien ne représente aujourd’hui que 8% de la consommation mondiale de pétrole. Car dans le même temps en effet, 1,6 milliard de litres de carburant sont consommés quotidiennement par les seuls automobilistes américains. Voitures et camions seraient ainsi responsables de 25% des émissions de CO2 dans le monde, soit 2,8 milliards de tonnes larguées dans l’atmosphère. Ces estimations, issues du site Globometer.com sont vertigineuses. «Pour l’heure il n’existe pas de méthode de calcul harmonisée permettant de comparer d’un pays à l’autre les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre (GES) liées au transport» concède Vincent Viguié, économiste au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED). «Ce travail est toutefois entrepris par certaines villes ou agglomérations regroupées en réseaux tels que Cities Climate Leadership Group au niveau mondial ou Energy Cities à l’échelle européenne». On estime malgré tout que le transport mondial dépend à 95% du pétrole et représente 55% de sa consommation totale. Ce qui n’est bien sûr pas sans conséquence sur l’environnement. Si la plupart des effets sont insidieux et indirects, certains sont aussi des plus spectaculaires. L’apparition de pics de pollution ou d’épais brouillards toxiques baptisés « airpocalypse », fruit conjugué de la circulation automobile et du fonctionnement à plein régime des centrales à charbon génératrices d’électricité n’étonne plus personne aujourd’hui. Surtout pas en Chine. Ses habitants en sont alors réduits à devoir choisir entre rester cloîtrés chez eux ou s’aventurer dans le smog. A leurs risques et périls! En août 2010, un embouteillage de plus de 100 kilomètres avait ainsi défrayé la chronique en mettant plus de onze jours à se résorber. Parfois, les avions doivent eux aussi rester cloués au sol faute de visibilité. Ce qui constitue en un sens le seul bienfait de la situation. Et le sport dans tout ça? Disons qu’il contribue subrepticement au phénomène. Il a ainsi été montré que plus de 90% du bilan carbone des compétitions sportives était lié aux seuls déplacements. Les tennismen, pour ne citer qu’eux, traversent ainsi la planète tous les quinze jours au gré des tournois. En 2000, l’Américain Chris Woodruff parcourut à lui seul la bagatelle de 180.301km, sillonnant treize pays et cinq continents différents dans le but de participer à 24 tournois majeurs. A ce rythme, on comprend que ces athlètes aient parfois besoin de lever un peu le pied sur le court. Il en est de même pour les équipes de nombreux sports collectifs qui passent désormais une grande partie de leur temps en altitude. Surtout aux États-Unis! «En NBA, tous les déplacements se font en avion privé ou en business class», témoigne le basketteur gravelinois Yakhouba Diawara. Ce n’est pas beaucoup mieux en hockey puisqu’on estime que les équipes de NHL ont parcouru entre 48.021km (New York Rangers) et 92.000km (San Jose Sharks) lors de la saison 2012-2013, soit une moyenne de 66.610 km par équipe et un total de près de 2 millions de kilomètres! A la fin d’une saison, chaque équipe peut ainsi se targuer d’avoir couvert l’équivalent d’un aller-retour Terre-Lune pour disputer le championnat. Et c’est sans parler du flot des plus fidèles supporters prêts à traverser les continents pour suivre leurs champions. À l’image de ce fan malaysien d’Everton qui n’hésita pas à faire 11.265km en avion pour assister à un match opposant son équipe favorite à Crystal Palace. Manque de bol, la rencontre fut finalement reportée pour cause de mauvais temps!

 La F1 justifie les moyens

«En théorie, mesurer l’impact écologique des déplacements du public lors d’une grande manifestation sportive n’est pas très compliqué dès lors que l’on connaît le niveau d’émissions de gaz à effet de serre du moyen de transport choisi, sa capacité énergétique et la capacité énergétique du carburant utilisé», explique Ariane Dupont, économiste spécialiste du transport durable à l’Institut français des sciences et technologies des transports de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar). «Pour avoir une estimation relativement fiable des gaz à effet de serre générés par le déplacement des spectateurs d’un tel événement, il suffirait de demander au spectateur de remplir un questionnaire de ce genre avant l’achat de son billet.» Dans la réalité, l’accès aux données fait cruellement défaut: d’où viennent les spectateurs? Ont-ils pris les transports en commun ou leur véhicule personnel? Dans ce dernier cas, quelle est la puissance de leur véhicule? Ont-ils voyagé seul ou en covoiturage? Autant de questions auxquelles il faut répondre, ce qui à ce jour n’a pas encore été réalisé de manière sérieuse. Quant aux sportifs eux-mêmes, force est de constater qu’ils ne sont pas nombreux à plaider la cause écologique. Dommage! Leur impact médiatique serait des plus utiles pour changer les mentalités. D’aucuns proposent, pour pallier ces lacunes, de changer le design des compétitions et créer de toutes pièces des événements sportifs 100% écolo. A l’instar de la Formule E qui aspire à devenir dès cette année une alternative crédible à la polluante F1. Pourquoi pas? Leurs performances n’ont rien de honteux après tout. Si leur vitesse est limitée à 225 km/h maximum (contre 365 km/h pour la F1), ces bolides peuvent en effet compter sur une grande capacité d’accélération, passant de 0 à 100 km/h en trois secondes à peine. Par ailleurs, les courses se dérouleront en centre-ville, ce qui permettra au public de s’y rendre en transports en commun. Cette initiative très symbolique fait écho à de nombreuses autres, comme le Rallye de Monte-Carlo des Énergies Nouvelles, le Trophée Andros électrique ou, dans une moindre mesure la présence croissante de voitures électriques aux 24 Heures du Mans. Et même si tout cela ne représente au final qu’une goutte dans un océan de pétrole, chaque effort reste le bienvenu.

 A la recherche du bon air

Que faire pour diminuer l’impact écologique des transports? Est-ce si compliqué? En fait, la plupart des solutions existent déjà et il suffit, comme souvent, de regarder ce qui se fait ailleurs. La première idée est bien sûr de réduire le nombre de voitures. Voire de les interdire. Les municipalités de Copenhague et de Nottingham ont par exemple reconverti leur centre-ville en zone piétonne. Des péages urbains ont aussi été expérimentés à Londres, Oslo, Vancouver, Singapour ou encore Stockholm qui a ainsi réussi à faire disparaitre 20% des voitures aux heures de pointe moyennant un a deux euros de taxe par an et par habitant. Ces progrès peuvent paraitre minimes. Cela a néanmoins suffi à éliminer les bouchons qui, selon Jonas Eliasson, directeur du centre d’étude des transports a l’Institut royal de Suède de technologie (KTH), répondent «à une logique non linéaire et une concentration seuil de véhicules capable de paralyser rapidement la circulation. Heureusement, la réciproque est vraie et il suffit de réduire un peu le trafic pour voir les embouteillages disparaître aussitôt.» Au prix de l’impopularité? Pas forcément. «Lorsque la taxe a été mise en place au début du printemps 2006, 70% de la population n’en voulait pas. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 30%. Comprenez bien: les trois quarts de la population sont désormais prêts à payer pour quelque chose qui était gratuit auparavant. Voilà qui est plutôt encourageant!» Le covoiturage et le partage de véhicule ont eux aussi le vent en poupe. Une voiture en auto-partage, c’est selon les calculs neuf voitures de moins dans la circulation! On peut aussi bénéficier dans certaines villes de transports en commun gratuits. Comme à Tallinn en Estonie qui a vu disparaitre depuis la mise en place de cette mesure en janvier 2013, 15% de ses embouteillages quotidiens et augmenter la fréquentation de ses bus de 12,6%. A Lyon enfin, le tunnel de la Croix-Rousse, long de 1,7 km, est désormais accessible aux seuls «transports doux». Autrefois, 47.000 véhicules y transitaient chaque jour!

Le vélo espère un nouveau cycle

On le voit, promouvoir l’usage de la bicyclette en milieu urbain peut sembler une évidence en matière de lutte contre le changement climatique. Peu de villes lui accordent pourtant un budget spécifique de développement. En France, ou les principales mesures nationales concernent la planification et le financement des «véloroutes», la bicyclette est encore perçue comme un moyen de transport dédié aux loisirs et à la détente. Pas surprenant des lors que le pourcentage de déplacements effectues à vélo peine à franchir la barre des 3%. Si l’Etat ne semble pas convaincu de l’avantage de ces deux-roues au quotidien, certaines municipalités comme Arcachon sont bien disposées à ouvrir la voie. Depuis l’an dernier, la ville distribue gratuitement des bicyclettes à chaque foyer qui en fait la demande, en contrepartie d’un certificat médical, d’un justificatif de domicile et d’une signature de la charte de bonne conduite. Parmi les bons élèves européens, Séville figure dans le peloton de tête. En 2013, cette ville du sud de l’Espagne a décroché la quatrième place mondiale des agglomérations où il fait bon pédaler. Ce n’était pourtant pas gagné. Alors que la part des kilomètres parcourus en vélo n’y dépassait pas 0,5% en 2006, elle atteint aujourd’hui un honorable 7%. Un développement accéléré des infrastructures cyclables que Séville doit en grande partie à sa politique volontariste. Mais dans ce domaine, le Danemark reste encore et toujours l’exemple à suivre. Initié en 2009 dans le cadre de sa politique de transports verts, un fonds de 133 millions d’euros a été alloué sur cinq ans pour investir dans des infrastructures cyclables (le prix de 700m de lignes de métro). Il vise à répandre une pratique plus sûre et plus attractive du vélo à travers le pays. Sur la période 2009-2014, ce fonds a ainsi permis de financer l’entretien et la réalisation de 330 km de voies cyclables. Encore trop peu nombreuses, de telles initiatives ont pourtant l’aval de l’Union européenne. Dans son dernier rapport annuel, l’Agence européenne de l’énergie considère en effet que les modes de déplacement «doux» comme la marche et le vélo restent les «clefs de la transition vers une mobilité plus durable». L’agence rappelle notamment que si les 28 pays de l’Union européenne suivaient l’exemple du Danemark où 20% de la population se déplace régulièrement à bicyclette, il serait possible de diminuer les émissions européennes de gaz à effet de serre de 15%. Une démarche qui a inspiré d’autres villes, notamment Bruxelles qui ambitionne de diminuer ces mêmes émissions de 40% d’ici 2030. Le vélo permet ainsi de lutter efficacement contre le changement climatique. Et son empreinte carbone? Selon Shreya Dave, ingénieure au Massachusetts Institute of Technology, la fabrication d’un vélo générerait en moyenne 240 kg de CO2, soit l’équivalent d’une traversée Nord/Sud de la France en automobile. La scientifique a également comparé l’empreinte carbone totale des trajets à vélo à celle d’une berline de taille moyenne. Partant de l’hypothèse que ces deux moyens de locomotion sont utilisés durant 15 ans et que le cycliste parcourt 3 200 kilomètres par an durant cette période, elle est arrivée à la conclusion que l’empreinte carbone par kilomètre en voiture s’avère plus de dix fois supérieure à celle du vélo sur l’ensemble de son cycle de vie. Si la consommation de carburant plombe sans surprise le bilan de l’automobile, les axes routiers indispensables à ses déplacements aggravent un peu plus la facture environnementale, le revêtement et l’entretien de ces voies de circulation émettant quatre fois plus de gaz à effet de serre que ceux des pistes cyclables.

 Un tube dans les tuyaux

En Occident, nous n’avons peut-être plus beaucoup de pétrole, mais nous avons encore des idées. En matière de transports, l’imagination des scientifiques et des entrepreneurs permet d’appréhender l’avenir avec un certain optimisme. Une première voie d’innovation consiste à économiser bien sûr l’énergie et à améliorer les rendements de nos différents outils. Car il faut bien l’admettre, on gaspille encore beaucoup d’énergie pour rien. Selon l’écologiste américain Amory Lovins, 15 des 28 millions de barils utilisés quotidiennement aux États-Unis pourraient ainsi être économisés, dont 7 par le seul renouvellement du parc automobile. Il justifie notamment ce chiffre par le poids excessif des véhicules. «Chaque kilo superflu se ressent à l’accélération et au freinage. Or, moins d’1% de l’énergie sert véritablement à mouvoir le conducteur, le reste étant cannibalisé par l’inertie du véhicule et dégagé inutilement sous forme de chaleur.» La façon de conduire importe aussi et certaines formations à l’éco-conduite permettent de faire baisser de près de 30% la consommation de carburant. De gaspillage, il est également question avec la multiplication et l’allongement, on l’a vu, des embouteillages ou lorsqu’on perd son temps à chercher désespérément une place de parking. Pour Bill Ford, président du conseil d’administration de la célèbre société qui porte son nom, la solution est simple: «Il faut construire des voitures, des routes, des parkings, des transports publics intelligents. En d’autres termes, élaborer un système intégré qui utiliserait les données en temps réel des acteurs de la route afin d’optimiser leur mobilité personnelle à grande échelle.» A l’image du système ULTra (Urban Light Transport) mis en place en mai 2011 à l’aéroport d’Heathrow de Londres et consistant à transporter à la demande jusqu’à quatre personnes dans de petits véhicules électriques sans chauffeur. Le salut pourrait enfin venir d’une toute nouvelle forme de transport: l’hyperloop. Un système de capsules protégées des frictions extérieures par la présence d’air à haute pression et propulsées dans un tunnel à l’aide d’un puissant champ magnétique lui-même généré par un moteur électrique. Capable d’atteindre une vitesse théorique de 1220 km/h, ce système permettrait de parcourir les 600km séparant Los Angeles de San Francisco en à peine 35 minutes! Après les pipelinistants, on assisterait à l’émergence de paysages sillonnés par des hyperloops? Douce utopie pour certains. Révolution pour d’autres. L’idée fait toujours débat. Mais on se prend à rêver d’un monde sans bouchon ni pollution toxique. L’avenir de la planète dépendra sans doute de l’aboutissement de toutes ces idées qui, mises bout à bout, nous feront peut-être oublier un jour l’immense gaspillage des ressources actuelles. Et sortir enfin la tête de cet épais brouillard.
Daniel Pontal et Grégory Fléchet


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