CNRS LE JOURNAL, AOÛT 2020
Directrice de recherche émérite au CNRS, Françoise Lamnabhi-Lagarrigue a reçu le prix Irène Joliot-Curie 2019 de la femme scientifique de l’année pour ses travaux dans le domaine de l’automatique.
Ce prix Irène Joliot-Curie de la femme scientifique de l’année¹ revêt une saveur toute particulière pour Françoise Lamnabhi-Lagarrigue. Première femme directrice de recherche de classe exceptionnelle dans son domaine, la voilà à présent saluée par ses pairs pour ses contributions à une discipline où ses consœurs furent longtemps sous-représentées. Surtout, elle se réjouit que soit mise en valeur l’automatique, savant mélange de mathématiques, de traitement du signal et d’informatique, qui la passionne depuis presque quarante ans mais reste méconnue du grand public. Le domaine infuse pourtant de nombreux secteurs – aéronautique, agroalimentaire, distribution d’électricité, robotique, industrie chimique, etc. – qui s’en servent notamment pour optimiser leurs performances.
« Il s’agit de développer des méthodes et des outils, pour la modélisation d’une très grande diversité de systèmes dynamiques, pour leur analyse et pour leur commande, dans le but de réaliser des tâches ou d’optimiser des critères, explique la directrice de recherche émérite au CNRS au Laboratoire des signaux et systèmes (L2S)². Et depuis quelques semaines, l’automatique est aussi envisagée dans la lutte contre le Covid-19, par exemple pour concevoir des scenarii de déconfinement capables d’assurer une survie maximale de la population tout en limitant les dommages économiques. » La revue Annual Reviews in Control, qu’elle dirige depuis 2015, a d’ailleurs lancé un appel à contribution dans l’objectif de mieux prédire la dynamique d’évolution de cette maladie.
De la recherche fondamentale au champ applicatif
Françoise Lamnabhi-Lagarrigue découvre l’automatique au tournant des années 1980. « Mathématicienne de formation3, j’ai choisi d’aborder ce domaine de recherche par son versant théorique au travers de l’analyse et du contrôle des systèmes non linéaires. » Après une première thèse en traitement du signal et automatique soutenue en 1980, elle est recrutée au L2S la même année. Malgré les questions très fondamentales auxquelles elle se consacre ensuite pendant sa thèse d’État en physique obtenue en 1985, la scientifique perçoit vite le potentiel applicatif de ses travaux. Le déclic vient deux ans plus tard lors d’un stage postdoctoral à l’université d’État d’Arizona : « À l’époque, les chercheurs en automatique américains collaboraient déjà avec des industriels pour les aider à améliorer la robustesse et l’efficacité de certaines applications destinées aux secteurs de l’automobile et de l’aéronautique. »
Dès son retour en France, elle met en pratique cette philosophie coopérative. La chercheuse se voit en effet proposer un contrat avec le groupe PSA. Sa mission : mettre à profit l’automatique pour améliorer un système électronique embarqué dédié au contrôle de châssis d’automobiles : « Ce premier partenariat industriel réussi a achevé de me convaincre de la nécessité d’accentuer les interactions entre les équipes de recherche académiques et les entreprises susceptibles de bénéficier de notre expertise. »
Fédérer la communauté scientifique européenne
La chercheuse enchaîne alors les déplacements à travers l’Europe pour tisser des liens avec les équipes de sa communauté scientifique. Forte de ces rencontres prometteuses, elle crée, dès 1998, le premier réseau européen de recherche en automatique puis coordonne, dans la foulée, le plus grand réseau Marie Curie Training Site. Il permettra à 160 chercheurs post-doctorants de bénéficier de bourses de séjours à l’étranger de plusieurs mois. Entre 2004 et 2014, elle supervise ensuite les deux volets du réseau d’excellence européen Hycon (Highly-complex and networked control systems) qui vont faire dialoguer des scientifiques de vingt-six institutions de recherche européennes avec des dizaines d’acteurs privés spécialisés dans le contrôle des réseaux de communication, les procédés industriels ou la distribution d’énergie.
Pour pérenniser ces collaborations, Françoise Lamnabhi-Lagarrigue fonde également l’Institut européen pour les systèmes embarqués (EECI) qui propose un large choix de formations aux doctorants en automatique du monde entier et enseignées par des experts internationaux renommés. « Depuis sa création, en 2006, l’institut a accueilli plus de 4 000 étudiants désireux d’élargir leurs connaissances en automatique théorique ou appliquée, se félicite-t-elle. Ces dernières années, le nombre de participants issus du secteur privé n’a cessé de croître, preuve de la relation de confiance que nous avons su instaurer avec l’industrie. »
Des réseaux électriques aux réseaux neuronaux
Malgré ce bouillonnement d’activités, ses travaux fondamentaux restent une constante dans sa carrière. Aujourd’hui, ils se concentrent notamment sur la conception d’observateurs, sortes de logiciels, peu coûteux et fiables, qui permettent de déterminer une grandeur physique sans utiliser de capteurs physiques. Tandis que, côté applications et en lien avec le centre de recherche et d’innovations SuperGrid Institute de Lyon, elle développe des outils numériques facilitant l’insertion des énergies renouvelables, éolienne et solaire, dans le réseau électrique, et ce sans que celui-ci ne soit déstabilisé par le caractère fluctuant de ces sources. Un principe, qui, transposé aux réseaux neuronaux, pourrait contribuer à améliorer le traitement de la maladie de Parkinson. « Ces outils peuvent en effet servir à concevoir des dispositifs prenant en compte l’activité cérébrale du patient. Le but serait d’espacer les opérations de maintenance du pacemaker qui alimente les électrodes dans le cerveau. »
Depuis peu, la chercheuse s’intéresse aussi à l’impact des technologies émergentes sur notre société. Dans cette perspective, elle coordonne un panel d’experts internationaux dédié à l’analyse des questions éthiques et sociétales, toutes disciplines confondues, liées au déploiement à grande échelle de la 5G et de l’intelligence artificielle. « Cette initiative, International Panel For Ethics of Emerging Technology (IPEET), a pour objectif de répondre collectivement et indépendamment au besoin d’encourager et d’assurer une recherche et une innovation responsables autour de ces questions. C’est urgent… », conclut-elle.
Françoise Lamnabhi-Lagarrigue en 6 dates
1980 Doctorat en traitement du signal et automatique, université Paris-Sud. Recrutée au L2S.
1985 Doctorat d’État ès sciences physiques, université Paris-Sud.
1998 Création du premier réseau européen de recherche en automatique.
2008 Prix Michel-Monpetit de l’Académie des sciences.
2016 Prix IFAC (International federation of automatic control) Fellow.
2019 Prix Irène Joliot-Curie de la femme scientifique de l’année.
Notes :
- Ce prix récompense une femme ayant apporté une contribution remarquable dans le domaine de la recherche publique ou privée et dont les travaux sont reconnus tant au plan national qu’international.
- Unité CNRS/Centrale Supélec/Université Paris-Sud.
- Elle est titulaire d’une maîtrise en mathématiques de l’université Paul Sabatier de Toulouse.
Photo 1: © Marie GUERRE
Photo 2: Ferme solaire de Puyloubier, à Aix en Provence. Françoise Lamnabhi-Lagarrigue développe notamment des outils numériques facilitant l’insertion de l’énergie solaire dans le réseau électrique sans le déstabiliser. © Unclesam/Stock.Adobe.com