GPD07_EAU_couv

GRAND PARIS DÉVELOPPEMENT  N°7 , PRINTEMPS 2014

La question de l’eau est un enjeu stratégique à l’échelle du Grand Paris. Mais contrairement à l’ambitieux projet de métro francilien, la gestion de cette ressource est encore loin de faire consensus. Entre délégation à un groupe privé et fonctionnement en régie publique, deux manières de gérer l’eau coexistent à l’échelle de la métropole.

LA NAISSANCE DU GRAND PARIS au 1er janvier 2016 fera disparaître la frontière entre Paris et la petite couronne. Du moins administrativement parlant. Car en ce qui concerne la gestion de l’eau potable, les sphères d’influence sont pour l’heure bien délimitées. Dans le nord des Hauts-de-Seine, cette ressource est gérée par le Syndicat des eaux de la Presqu’île de Gennevilliers (SEPG) qui fournit l’eau à près de 600 000 habitants. Via un contrat de délégation de service public (DSP), qui devrait être renouvelé en juin 2015, le SEPG confie l’approvisionnement de cette ressource à Eau et Force, une filiale de GDF Suez. Exception faite de ce territoire, la quasi-totalité de la petite couronne parisienne est placée sous la houlette du puissant Syndicat des eaux d’Île-de-France (SEDIF). Avec près de 750 000 m3 d’eau distribués chaque jour à plus de 4 millions de personnes à travers l’Île-de-France, le SEDIF est de loin le plus grand service public de l’eau de l’Hexagone. Un service que le syndicat délègue depuis plus de 30 ans au groupe Veolia par un contrat de DSP. A contrecourant du système délégataire, la ville de Paris a pour sa part choisi de reprendre la main sur la gestion de l’eau. Le 1er janvier 2010, la municipalité a ainsi mis fin aux contrats privés de distribution détenus depuis près de 25 ans par la Lyonnaise des eaux (rive gauche) et Veolia (rive droite) pour la distribution de l’eau et la facturation. La production était, quant à elle, confiée à une société d’économie mixte. « Nous avons fusionné ces trois entités pour créer la régie publique Eau de Paris qui assure désormais le captage, la production, le transport et la facturation de l’eau pour l’ensemble de la capitale », résume sa présidente Anne Le Strat.

NAVIGUER ENTRE PUBLIC ET PRIVÉ
En juin 2010, le SEDIF procède à une remise en concurrence de sa DSP à l’issue de laquelle Veolia conserve la gestion de ce contrat jusqu’en 2022. « En obtenant une baisse du prix de l’eau de 20 % de la part de notre délégataire historique nous avons estimé que celui-ci proposait un prix juste pour un service rendu de qualité », justifie Philippe Knusmann, directeur général du SEDIF. Le juste prix de l’eau c’est bien là le nœud du problème. Car en dépit du rabais consenti par Veolia, le tarif du mètre cube d’eau, assainissement compris, reste en moyenne un euro plus élevé sur les 3 départements de la petite couronne qu’à Paris (3 euros / m3). Selon Jean-Luc Touly, responsable Eau de la Fondation France Liberté et ancien employé du groupe Veolia, la gestion déléguée au privé est la cause principale de cette différence tarifaire : « pour pouvoir rétribuer leurs actionnaires, les opérateurs privés comme Veolia ou GDF Suez sont tenus d’engranger des marges substantielles qui gonflent inexorablement les prix de l’eau ». Une régie publique ne faisant en revanche aucun profit, tous les bénéfices de l’exploitation sont entièrement réinvestis dans le fonctionnement de ce service dédié à la gestion de la précieuse ressource. Depuis le passage en régie de son service de l’eau, la ville de Paris estime ainsi économiser entre 35 et 40 millions d’euros par an. Outre la réintégration des bénéfices du délégataire et une fiscalité plus avantageuse, le passage en régie ferait également baisser les coûts d’exploitation. « Avant de réaliser des travaux sur le réseau, nous publions un appel d’offre pour choisir le meilleur prestataire possible là où une entreprise privée va solliciter l’une de ses filiales qui a souvent tendance à surfacturer le coût de l’intervention », remarque Anne Le Strat. Des spécificités propres à chaque territoire impactent également le prix de l’eau comme le souligne Philippe Knusmann : « sur l’ensemble du secteur géré par le SEDIF, les coûts de main d’œuvre liés à la pose de nouvelles canalisations sont plus élevés du fait de l’encombrement des sous-sols ». Une contrainte qui ne concerne pas Paris où la quasi-totalité des canalisations d’eau potable cheminent dans un réseau d’assainissement visitable. Cette particularité qui permet d’inspecter le réseau sans avoir à creuser le sous-sol limite de fait les dépenses dévolues à l’entretien et au remplacement des canalisations. S’ajoute à cela le coût financier de la potabilisation de la ressource qui renchérit de manière inévitable le prix de l’eau. Or contrairement à Eau de Paris, le SEDIF distribue essentiellement une eau puisée dans les rivières et les fleuves d’Ile-de-France. La piètre qualité de cette ressource brute nécessite alors un traitement de potabilisation plus poussé et donc forcément plus onéreux (voir encadré).

L’ÉTAT INCERTAIN DU RÉSEAU
Une fois l’eau collectée et rendue potable dans les usines de traitement, elle doit encore être acheminée jusqu’au domicile des usagers via un vaste système de canalisations. Sur le territoire administré par le SEDIF, ce réseau s’étire sur plus de 8 300 km. Le sous-sol de la capitale est quant à lui sillonné de 2 000 km de conduites dédiées au transport de l’eau potable. Selon une étude de la Fondation France Libertés publiée en mars dernier, le taux de fuite des canalisations atteint 8 % à Paris et entre 10 et 12 % sur les communes de la petite couronne. Bien que ces taux de fuite restent peu importants au regard d’autres grandes villes françaises, ils pourraient toutefois s’accroître si les gestionnaires des réseaux n’investissent pas régulièrement dans leur renouvellement. « Pour limiter efficacement ces fuites qui concernent surtout les canalisations de petit diamètre, le gestionnaire doit être en mesure de remplacer chaque année au moins 1 % de la totalité de son réseau », préconise Pascal Soukatchoff du syndicat des industriels du transport de l’eau et de l’assainissement (ITEA). Savoir dans quel état de vétusté se trouvent les canalisations du réseau s’avère pour cela indispensable. « Si les canalisations en fonte utilisées aujourd’hui ont une durée de vie qui peut atteindre 150 ans, les conduites en PVC installées dans les années cinquante ou celles en fonte grise datant parfois de la fin du XIXe siècle devront être massivement remplacées dans les années qui viennent », poursuit le représentant d’ITEA. Pour se pré-parer à cette prochaine ère de renouvellement, Eau de Paris s’appuie sur un système d’information géographique (SIG) qui lui permet de cartographier avec précision l’ensemble de son réseau et la nature des canalisations qui le compose. Depuis plusieurs années le SEDIF réalise de son côté des prélèvements réguliers le long de ses canalisations afin de déterminer leur vitesse de corrosion moyenne en fonction du matériau et de la nature du sol. Les résultats de cette étude d’envergure serviront à optimiser la stratégie et l’élaboration des futurs programmes de renouvellement.

VERS UN GRAND PARIS DE L’EAU ?
L’inauguration officielle du Grand Paris sera-t-elle l’occasion de redistribuer les cartes de la gestion de l’eau sur ce territoire ? Le réseau d’eau de l’agglomération étant déjà interconnecté pour permettre aux différents fournisseurs de se porter mutuellement secours en cas de besoin, la question mérite en tout cas d’être posée. Alors qu’au cours des 20 dernières années, la consommation d’eau du robinet a déjà diminué de 25 % à l’échelle de la métropole parisienne, créer un « Grand Paris de la gestion de l’eau » permettrait certainement de mutualiser les usines de potabilisation de Paris et de la petite couronne. Une rationalisation de la gestion de l’eau pourrait en outre générer de substantielles économies et donc faire baisser le prix de l’eau dans la métropole. « A l’image du secteur des transports collectifs, il me parait essentiel de connecter davantage la gestion de l’eau à la politique urbaine pour aller progressivement vers un service métropolitain de l’eau », suggère Anne le Strat. Reste à définir le statut de cette entité. Prendra-t-elle la forme d’une régie publique de l’eau du Grand Paris ou d’un SEDIF aux compétences géographiques étendues ? Avec une capacité maximale de production d’eau potable qui avoisine les 1,5 million de m3, le SEDIF est théoriquement capable d’approvisionner plus de 8 millions de personnes par jour , soit un bassin de population supérieur à celui du futur Grand Paris : « nos trois unités de production d’eau potable étant reliées entre elles par des canalisations de gros dia-mètre, nous sommes d’ores et déjà en mesure de mutualiser cette ressource pour desservir en eau potable d’autres communes de l’agglomération parisienne », assure le directeur général du SEDIF. Si aucune piste ne doit pour l’heure être écartée, il pourrait cependant s’avérer délicat de procéder à un retour total en régie à l’échelle de l’agglomération. Ainsi, bien qu’Eau de Paris se charge désormais de la facturation, de la gestion des abonnés et des usines d’eau potable, l’exploitation du réseau reste en grande partie confiée à des prestataires via des marchés publics. Face à un enjeu aussi capital que la gestion de l’eau, le Grand Paris pourrait donc difficilement se passer de l’expertise des opérateurs privés.

GPD07_EAU_2

GPD07_EAU_3