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EN DIRECT DES LABORATOIRES, JUILLET 2015

Comprendre le fonctionnement de l’atmosphère terrestre vers la fin de la dernière ère glaciaire peut aider à anticiper les changements climatiques futurs. En analysant les sédiments issus d’une tourbière du Sud de la Terre de Feu, une équipe internationale de géochimistes et de paléoclimatologues, parmi lesquels des chercheurs du Laboratoire d’écologie fonctionnelle et environnement (ECOLAB – CNRS / Université Toulouse 3 / INP Toulouse), a pu déterminer avec précision l’évolution des dépôts de poussières durant cette période charnière comprise entre 16 000 et 11 000 ans avant le présent1. L’étude publiée le 1er  juillet 2015 dans Scientific Reports révèle qu’au moment où s’achevait la dernière période glaciaire, l’intensification du régime des vents dominants de l’hémisphère sud avait favorisé le transport de grandes quantités de poussières dans l’atmosphère. Ces travaux confirment ainsi les relations intimes entre circulation atmosphérique et évolution globale du climat.

L’évolution naturelle du climat terrestre est en grande partie déterminée par la situation orbitale de la Terre qui engendre des cycles glaciaires-interglaciaires. Depuis le début de l’ère industrielle, cette alternance climatique est contrecarrée par les activités humaines au premier rang desquelles figurent les émissions de gaz à effet de serre. Il y a environ 12000 ans, notre planète a connu une alternance climatique de ce genre lorsque la dernière glaciation a laissé place à la période interglaciaire actuelle, plus chaude. Grâce aux archives climatiques associées à cette époque, il est possible d’étudier les relations intimes entre changements globaux et flux atmosphériques lors d’une alternance climatique intense. Telle est la démarche d’un groupe de chercheurs de l’Université de Toulouse et du Laboratoire Ecologie Fonctionnelle et Environnement (EcoLab).

Menés en collaboration avec des scientifiques espagnols, polonais et argentins, leurs travaux, soutenus par un projet « Jeune Chercheur » de l’Agence Nationale de la Recherche2, se sont intéressés aux poussières atmosphériques piégées dans une tourbière très ancienne du Sud de la Terre de Feu. « Parce qu’elle s’est formée il y a plus de 16 000 ans, cette tourbière nous renseigne sur le climat qui régnait dans cette partie du globe vers la fin de la dernière glaciation », explique Heleen Vanneste, l’auteure principale de ces travaux, actuellement chercheuse au Laboratoire de géologie de Lyon (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/ENS de Lyon). Pour cette période de temps, la tourbe a aussi l’avantage  de s’accumuler plus rapidement que la glace des calottes polaires, ce qui lui permet d’enregistrer les données climatiques avec une plus grande sensibilité. » La tourbe étant en outre composée de matière organique issue de la décomposition de plantes, il est possible d’obtenir une datation absolue des couches de sédiments grâce à sa datation par le carbone 14.

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Vue sur un sondage de tourbe de la tourbière d’Harberton -© D. Mauquoy

Une fois le sondage de la tourbière réalisé, les scientifiques ont procédé à des analyses géochimiques sur cet enregistrement climatique afin d’y déterminer la présence d’éléments en trace dont le Néodyme. Cet élément chimique du groupe des terres rares, entre dans la composition des poussières atmosphériques provenant de l’érosion éolienne. L’équipe a constaté que les dépôts de poussières étaient plus importants lors de deux périodes froides bien connues des climatologues : l’Antarctic Cold Reversal (14100 – 12800 ans BP) d’une part, et le Dryas récent (12900 – 11700 ans BP) d’autre part. A partir des isotopes du Néodyme, les géochimistes ont également pu démontrer que ces poussières provenaient du canal Beagle, une vallée glaciaire localisée au sud de la tourbière étudiée.

« L’augmentation des dépôts de poussières durant ces deux périodes froides survenues vers la fin de la dernière grande glaciation est liée à l’intensification des vents d’ouest qui les a accompagnées. En accentuant l’érosion de la Patagonie, ceux-ci ont donc permis d’injecter de grandes quantités de poussières dans l’atmosphère terrestre », souligne Heleen Vanneste. En accord avec les conclusions d’études similaires menées sur les sédiments marins, ces travaux confirment que la circulation atmosphérique joue un rôle clé dans le climat global. Les données collectées devraient en outre contribuer à améliorer la modélisation de la dynamique des poussières atmosphériques dans l’hémisphère sud afin de mieux prévoir les conséquences du changement climatique actuel.

  1. L’expression « avant le présent » (Before Present ou BP en anglais) est employée en géologie pour désigner les âges exprimés en nombre d’années comptées vers le passé à partir de l’année 1950.
  2. Plus d’informations sur le site internet du projet ANR « PARAD » : http://anr.obs-mip.fr/

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