CNRS LE JOURNAL, FÉVRIER 2023

Avant le One Forest Summit organisé les 1er et 2 mars à Libreville, au Gabon, l’écologue Jonathan Lenoir nous explique les enjeux qui entourent la préservation des écosystèmes forestiers, dans le contexte du réchauffement climatique global.

La forêt est un maillon essentiel du climat mondial. Mais de quelle manière le changement climatique agit-il sur les écosystèmes forestiers ?
Jonathan Lenoir1Ces dernières décennies, nous avons constaté que certaines forêts produisaient plus de biomasse aérienne sous l’effet du réchauffement climatique. Cela peut sembler une bonne nouvelle puisque cet accroissement de la biomasse est synonyme d’un stockage de CO2 plus important. Mais le réchauffement climatique se traduit aussi par l’augmentation des températures extrêmes et des sécheresses, à la fois en fréquence et en intensité. La combinaison de ces phénomènes est à l’origine des mégafeux que l’on a pu observer en Californie, en Australie et au Chili pas plus tard que cet hiver. Or, le relargage massif de CO2 à la suite de ces immenses incendies de forêts alimente à son tour l’emballement climatique.

Certains écosystèmes forestiers sont-ils plus sensibles que d’autres aux effets du changement climatique ?
J. L. Nous savons d’ores et déjà que les forêts situées de part et d’autre de l’équateur seront davantage affectées car les espèces animales et végétales qui composent ces milieux sont très proches des limites de températures qu’elles peuvent supporter, ce qui implique une marge de sécurité plus étroite en contexte de réchauffement global.

À réchauffement égal, les massifs forestiers de la zone intertropicale vont donc connaître des changements plus rapides que ceux des zones tempérées et boréales où les espèces animales et végétales disposent d’une marge de sécurité plus importante. Le manque de diversité au sein de certains écosystèmes forestiers gérés par l’homme limite par ailleurs leurs capacités d’adaptation. À l’inverse, plus une forêt est hétérogène et diversifiée, plus elle sera en mesure de s’adapter aux perturbations climatiques à venir.

L’autre grande menace qui pèse sur les forêts est donc la perte de biodiversité. Quelles en sont les causes principales ?
J. L. Si le réchauffement climatique constitue désormais l’une des causes principales de cette érosion de la biodiversité, d’autres facteurs entrent en jeu. Dans la plupart des pays de la zone tropicale, la déforestation destinée à étendre les parcelles agricoles joue un rôle majeur. Ce changement d’usage des sols qui nécessite de raser de vastes étendues de forêts riches et diversifiées se traduit alors par une perte nette de biodiversité. L’introduction d’espèces exotiques a aussi un impact non négligeable en milieu forestier. En perturbant la forêt par le défrichage ou les coupes rases, l’humain offre une porte d’entrée à de nouvelles espèces qui peuvent potentiellement devenir envahissantes.

Prenons le cas d’une forêt très peu perturbée par les activités humaines. Comment le dérèglement climatique va-t-il agir sur elle ?
J. L. Sur ce genre de milieu, les changements sont plus graduels. Dans un premier temps, la forêt évolue vers un nouvel état d’équilibre où des espèces qui étaient jusqu’ici sous-représentées deviennent dominantes. Mais au-delà d’un certain seuil de réchauffement, les essences d’arbres les plus sensibles à la hausse des températures et au manque d’eau finissent par dépérir. Elles présentent alors des symptômes caractéristiques comme le dessèchement de la partie supérieure du houppier (ensemble du branchage et du feuillage d’un arbre, Ndlr). La répétition d’événements climatiques extrêmes affaiblit par ailleurs les espèces les plus robustes qui deviennent vulnérables aux attaques d’insectes phytophages ou de champignons. Néanmoins, la diversité taxonomique, structurelle et fonctionnelle des forêts peu perturbées par les activités humaines les rend plus résistantes et surtout plus résilientes aux dérèglements climatiques.
 
À l’heure actuelle, quelles sont les grandes questions que se posent les scientifiques de votre communauté sur la forêt ?
J. L. L’un des grands enjeux concerne l’impact du réchauffement climatique global sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers et la rétroaction que ces derniers exercent sur le climat. Car la manière dont les forêts évoluent aujourd’hui affectera le climat de demain. Plusieurs travaux scientifiques ont déjà montré qu’il existe une interrelation forte entre le fonctionnement de l’atmosphère et celui de la biosphère, dont les arbres constituent un élément majeur et moteur des cycles biogéochimiques, comme celui de l’eau. Les forêts redistribuent une grande partie de l’eau contenue dans les sols vers l’atmosphère où elle est ensuite véhiculée, via les nuages, vers d’autres régions du globe. La façon dont ce mécanisme se met en place puis est régulé constitue un champ de recherche important pour l’écologie forestière et les sciences du climat. L’expansion des aires de répartition de certaines espèces ligneuses vers les hautes latitudes et les hautes altitudes modifient également l’albédo (quantité de lumière solaire incidente réfléchie par une surface, Ndlr) à l’échelle globale, créant une boucle de rétroaction positive qui amplifie le réchauffement global. 

Au sein du laboratoire Edysan, vous étudiez plus particulièrement le microclimat sous couvert forestier. De quoi s’agit-il ?
J. L. L’ensemble des arbres qui composent une forêt peut s’apparenter à une pompe biologique qui puise l’eau du sol. Tant que cette ressource est disponible et qu’elle est accessible par les racines des arbres, ceux-ci vont l’extraire par transpiration au cours de la photosynthèse. Après avoir transité par le tronc et les branches des arbres, l’eau est finalement relarguée sous forme de vapeur au niveau de leurs feuilles. En période de canicule ou de sécheresse excessive, ce phénomène va faire chuter la température localement car cette eau provenant du sol est plus froide que l’air ambiant.

Depuis un peu plus de deux ans, vous coordonnez le projet Imprint qui s’intéresse au microclimat des forêts françaises. Quels sont ses principaux objectifs ?
J. L. Il s’agit d’étudier le rôle du microclimat dans les changements de distribution des espèces végétales qui composent une forêt. Ce travail se déroule sur trois forêts domaniales françaises réparties le long d’un axe nord-sud : la forêt de Mormal au nord, celle de Blois dans le centre de la France et celle de l’Aigoual au sud. Chacune est dotée d’un réseau d’une soixantaine de capteurs qui enregistrent en continu la température sous le couvert végétal.

Une station météorologique mesure également la température en lisière de chaque massif. Ces données sont ensuite intégrées dans un modèle utilisant des données descriptives en trois dimensions de la forêt obtenues par un scanner lidar aéroporté. D’ici la fin du projet, prévue à l’horizon 2025, nous serons en mesure d’élaborer des cartes à fine résolution spatiale et temporelle des microclimats des trois massifs forestiers. De telles représentations cartographiques pourraient servir à identifier de potentielles zones refuges aux conditions climatiques stables ou bien encore à anticiper les risques d’incendies en période de sécheresse.

Récemment, vous avez contribué à une étude internationalequi démontre l’importance de conserver une diversité des classes d’âge parmi les arbres qui composent une forêt.
J. L. Ce travail cherchait à vérifier si l’âge d’un arbre influence ses capacités de résistance et de résilience à un épisode de sécheresse. Pour cela, nous avons analysé plus de 20 000 arbres adultes appartenant à 119 espèces différentes sur 1 430 forêts du monde entier. Pour avoir accès à l’âge de chacun de ces arbres ainsi qu’aux aléas climatiques ayant jalonné sa vie, nous avons exploité des données issues de la dendrochronologie (discipline qui analyse la structure des cernes annuelles de croissance des arbres dans le but d’obtenir des informations sur des événements climatiques passés, Ndlr).

Nos investigations tendent à montrer que les jeunes arbres sont moins résistants que les vieux individus l’année de la sécheresse. Cela est probablement lié au fait que leurs racines ne sont pas assez développées pour puiser l’eau en profondeur. Les jeunes arbres limitent alors leur croissance au maximum pour surmonter ce handicap. Ils vont toutefois pouvoir bénéficier du rafraîchissement local issu de la transpiration des plus vieux qui résistent mieux à la sécheresse. Au cours des trois ou quatre années qui suivent un tel épisode, les jeunes arbres vont ensuite rattraper ce retard de croissance, plus vite que les individus âgés. Une forêt qui respecte un certain équilibre générationnel entre les arbres sera donc plus à même de surmonter un violent stress hydrique qu’une forêt très homogène en termes de classes d’âge.

Comment améliorer la résilience des forêts face à une période de sécheresse prolongée comme celle que nous avons vécue l’été dernier ?
J. L. 
Aujourd’hui la plupart des exploitants forestiers considèrent qu’un arbre peut être abattu lorsqu’il a atteint son âge d’exploitabilité, soit entre 150 et 180 ans pour un chêne, et de 45 à 70 ans pour un conifère comme le douglas. Mais sur une planète où les extrêmes climatiques tels que nous les connaissions deviennent peu à peu la nouvelle norme, il convient de revoir ce principe de gestion en conservant les arbres le plus longtemps possible. L’intérêt d’une telle démarche est double : non seulement les plus vieux individus garantissent la protection des plus jeunes arbres les années de sécheresse, mais ils vont permettre d’atténuer les effets du réchauffement climatique par le stockage de grandes quantités de CO2 sur le long terme. Si le fait d’abattre un arbre au bout de plusieurs centaines d’années augmente les chances qu’il périsse dans un incendie ou lors d’une tempête, cette prise de risque peut être minimisée en diversifiant l’écosystème. Face à un climat de plus en plus instable, une forêt diversifiée et hétérogène du point de vue des arbres qui la composent offre la meilleure garantie de résilience. 

Informations
One Forest Summit(link is external), 1er et 2 mars 2023, Libreville, Gabon.

Notes :
1. Chargé de recherche au laboratoire Écologie et dynamique des systèmes anthropisés (Edysan, unité CNRS/ Université de Picardie Jules Verne), Jonathan Lenoir est lauréat de la médaille de bronze du CNRS 2023.
2. « Younger trees in the upper canopy are more sensitive but also more resilient to drought », Tsun Fung Au et al.Nature Climate Change, décembre 2022.

Photo 1 : Vue aérienne de la canopée d’une forêt tropicale. © jarnoverdonk / stock.adobe.com
Photo 2 :  Un exemple d’écosystème forestier tempéré dans les monts d’Arrée (Finistère, Bretagne) frappé par les incendies en juillet 2022. © Hervé Ronne / RÉA
Photo 3 : Endémique d’une bande étroite de forêt tropicale humide, au Cameroun, la plante Leonardoxa africana, qui héberge des fourmis la protégeant des insectes, est menacée par le développement rapide des exploitations agricoles. © Rumsaïs Blatrix / CNRS Images
Photo 4 : Ambiance fraîche et humide d’un microclimat forestier, avec un hêtre couvert de mousses, dans la réserve naturelle de la vallée de Chaudefour (Auvergne). © Jonathan Lenoir / Edysan (CNRS – Univ. Picardie Jules-Verne)
Photo 5 : Ce capteur de température est posé sur un tronc de hêtre dans la forêt de Mormal (près de Maubeuge, Nord), à 1 mètre du sol côté nord et protégé pour éviter les biais de surchauffe liés aux rayons solaires. © Eva Gril / Edysan (CNRS – Univ. Picardie Jules-Verne)
Photo 6 : Échantillon, en vue 3D, du nuage de points brut extrait d’un survol lidar aéroporté de la forêt de Mormal près de Maubeuge (Nord), réalisé en Juillet 2021 par la société Altoa. © Maxa, Microsoft / source Airbus, USGS, NGA, Nasa, CGIAR, NLS, OS, NMA, Geodatastyrelsen, GSA, GSI and the GIS User Community – Émilie Gallet-Moron (Edysan) et société Altoa

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