b193-500-1

EN DIRECT DES LABORATOIRES, MAI 2016

La vaste plaine herbeuse qui s’étend du nord de la Colombie au sud du Venezuela abrite un paysage étonnant constitué d’une succession de monticules de terre. Ces formations d’une grande régularité que les habitants de la région nomment surales étaient jusqu’ici attribuées à l’action de l’érosion. Une étude approfondie de ces écosystèmes menée par une équipe internationale, parmi laquelle figurent des chercheurs du Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive de Montpellier (CEFE, CNRS/Université de Montpellier/Université Paul-Valéry-Montpellier/EPHE), montre pour la première fois qu’il n’en est rien. Leurs travaux publiés le 11 mai dernier dans PLOS ONE révèlent que ces monticules résultent, dans les sites étudiés, de l’intense activité d’une espèce de ver de terre.

Les Llanos de l’Orénoque forment une plaine inondable en apparence uniforme de part et d’autre de ce fleuve et ses tributaires qui s’écoulent à travers la Colombie et le Venezuela. A y regarder de plus près, la région recèle d’étranges monticules de terre agencés de façon régulière. Alors que les premières descriptions de ces structures naturelles que les autochtones appellent surales remontent aux années 1940, leur écologie demeurait jusqu’ici méconnue. Une équipe réunissant des scientifiques européens et sud-américains a pour la première fois réalisé une étude approfondie de ces écosystèmes. A l’aide de photographies aériennes prises à partir d’un drone conçu par l’Institut de Recherche pour Développement (IRD) et d’images satellite disponibles sous Google Earth, les chercheurs ont tout d’abord réalisé un inventaire de ces paysages à l’échelle du bassin de l’Orénoque. « Nous avons constaté que les surales étaient bien plus fréquents que ce que nous pensions, ceux-ci ayant été repérés dans différentes zones d’un territoire d’environ 75 000 km2, soit une superficie supérieure à celle de la République d’Irlande », souligne Doyle McKey, enseignant-chercheur en écologie au CEFE de Montpellier et coauteur de l’article.

Les chercheurs ont ensuite procédé à l’échantillonnage des différents stades de ces formations paysagères. L’étude physico-chimique du sol et celle de la microfaune peuplant ces écosystèmes attestent du rôle essentiel d’une espèce de ver de terre non décrite du genre Andiorrhinus dans l’édification des surales. Retrouvé en très grand nombre sur la totalité des sites échantillonnés, ce ver de terre d’Amérique du Sud, qui peut dépasser 1,5 mètre de long, représente parfois plus de 90% de l’ensemble des vers de terre répertoriés. Au niveau des buttes, leurs rejets récents et encore identifiables constituent par ailleurs jusqu’à la moitié de la masse totale du sol. L’analyse des phytolithes à l’intérieur de ces formations révèle enfin une présence homogène de ces particules de silice issues de la décomposition des plantes. Cette caractéristique traduit l’intense activité des vers de terre qui homogénéisent le sol en le consommant et le transportant en grandes quantités.

L’analyse des images aériennes et spatiales révèle par ailleurs que les surales ne présentent pas tous la même physionomie d’un secteur à l’autre1. Bien que la taille des monticules soit relativement constante localement, leur diamètre et leur hauteur varient beaucoup d’un site à l’autre. Ces disparités traduisent en fait différents stades de développement dans la formation et la croissance des surales. Au fur et à mesure que ces buttes grandissent, le fossé qui les entoure devient plus profond, rendant difficile l’édification d’un nouveau monticule dans leur voisinage immédiat. « Lorsque des buttes déjà initiées se situent à proximité les unes des autres, le bassin qui les sépare se comble peu à peu et ces buttes finissent par se rejoindre pour former une sorte de dôme composite pouvant atteindre 2 mètres de haut pour 5 mètres de diamètre », précise Doyle McKey. L’ensemble de ces résultats suggère que le fonctionnement et le développement des paysages surales résultent de l’action unique de ce ver de terre appartenant au genre Andiorrhinus, faisant de celui-ci l’espèce clef de voûte d’un écosystème unique à l’origine d’une grande biodiversité floristique.

b193-500-2

© photos: Doyle McKey et Delphine Renard (drone Pixy)

www.cnrs.fr