JOURNAL DU CNRS N°271, MARS-AVRIL 2013

L’Arctique devrait subir de plein fouet  les effets du changement climatique. Les scientifiques mènent  des investigations en Norvège pour tenter de prédire l’impact de ces bouleversements sur le fragile écosystème marin.
Blottie au fond d’un fjord de l’île norvégienne du Spitzberg, Ny-Ålesund est la localité la plus septentrionale de la planète. C’est sous ces latitudes extrêmes, où la nuit polaire peut durer plusieurs semaines, que les scientifiques du projet international Ecotab¹ (Effect of climate change on the arctic benthos) ont choisi de mener leurs investigations. De fait, d’ici 2050 à 2100, on estime que la température de l’océan Arctique tout entier augmentera de 4°C. Sur la même période, l’épaisseur de la banquise, le pH et la salinité de l’océan devraient, à l’inverse, fortement diminuer. Quel sera l’impact de tels bouleversements sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes côtiers arctiques ? C’est la question que vise à éclaircir Ecotab, lancé en novembre 2011.
« La vaste baie de Kongsfjorden, où est située la base de Ny-Ålesund, est idéale pour étudier les effets du changement climatique en Arctique », explique Nathalie Morata, responsable du projet et chercheuse au Laboratoire des sciences de l’environnement marin (Lemar)². En effet, cette baie est placée sous l’influence directe des eaux chaudes transportées par la dérive nord-atlantique. » Son équipe se concentre sur un objet particulier : « le benthos  c’est-à-dire les organismes qui vivent au fond des mers, dont le comportement face aux changements climatiques qui s’annoncent reste peu étudié.»
La première phase du projet a commencé par des prélèvements de glace, d’eau de mer, et de sédiments. De mai 2012 et janvier 2013, les scientifiques ont mené quatre campagnes, dans trois secteurs du Kongsfjorden. Ces échantillonnages avaient pour objectif  de mieux cerner les relations, au fil des saisons, entre les organismes qui peuplent trois milieux indissociables : la banquise, le fond du fjord et la colonne d’eau qui les sépare.
« Grâce aux données emmagasinées durant cette première phase du projet  nous serons bientôt en mesure de répertorier les espèces clés du benthos arctique. », indique la scientifique du Lemar. La seconde phase débutera alors en 2014 au laboratoire marin de Ny-Ålesund. Elle permettra aux chercheurs de mesurer les conséquences, pour ces espèces benthiques, de scénarios où ils feront varier toute une série de paramètres (qualité de la nourriture, pH, salinité ou température de l’eau de mer, etc.)
Cette démarche expérimentale, inédite sous ces latitudes, contribuera à mieux percevoir les effets du changement climatique sur le fragile équilibre établi entre les milieux benthique et pélagique. « En temps normal, le benthos, qui englobe les espèces de mollusques bivalves posés sur le fond du fjord, tire une grande part de sa nourriture des algues de glaces qui se détachent de la face interne de la banquise, précise Nathalie Morata. Or, la fonte de la banquise entraîne la disparition de ces algues : les bivalves seront donc contraints de se rabattre sur d’autres nutriments comme les pelotes fécales de petits crustacés copépodes. »
Ces nutriments de substitution suffiront-ils à pallier la disparition des algues de glace ? Dans le sillage d’Ecotab, de nombreuses questions restent en suspens. L’enjeu est crucial, puisqu’en Arctique les organismes benthiques sont à la base de l’alimentation de nombreuses espèces de mammifères marins.

 

  1. Le projet Ecotab réunit des chercheurs français, allemands, norvégiens, canadiens, espagnols et polonais. Il bénéficie d’un financement de l’Agence national de la recherche  (ANR) dans le cadre du  programme « Retour post-doctorants ».
  2. Unité CNRS/Université de Bretagne occidentale/Ifremer/IRD

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