IRD, FICHE D’ACTUALITÉ n°305, SEPTEMBRE 2008

L’impact du changement climatique sur les coraux ne fait plus l’ombre d’un doute, une augmentation de quelques degrés de la température des océans provoquant l’expulsion des algues microscopiques qui vivent en symbiose avec le corail. Alors que ce phénomène, à l’origine du blanchissement corallien, est bien connu des scientifiques, ses effets sur la structuration des centaines d’espèces de poissons qui peuplent les récifs demeurent peu étudiés à une large échelle. Des travaux, publiés récemment par une équipe internationale, dont une chercheuse de l’IRD, mettent aujourd’hui en évidence l’impact sur les peuplements de poissons, du blanchissement massif résultant du phénomène climatique El Niño survenu en 1997-1998. L’étude porte sur une soixantaine de sites coralliens de l’océan Indien, dont neuf sont situés dans une aire marine protégée. Ce travail scientifique de grande envergure montre que les changements dans la diversité, la taille et la structuration des communautés de poissons suivent le déclin du récif corallien. Les aires marines protégées, où la pêche est strictement interdite semblent en revanche avoir peu d’impact sur la reconquête du milieu naturel par les coraux. Un constat qui incite les scientifiques à préconiser la mise en place de réserves spécialement dédiées à la préservation des coraux.

Le corail constructeur de récifs peut être défi ni comme le résultat d’une symbiose entre organismes microscopiques d’origine végétale, les zooxanthelles, et un organisme animal, le polype. Du point de vue de la biodiversité, on compare souvent les récifs coralliens aux forêts tropicales humides. L’écosystème récifal abrite en effet des milliers d’espèces dont les interactions complexes gardent encore une grande part de mystère. Alors que la déforestation est le premier facteur de destruction des sylves tropicales, le phénomène de blanchissement constitue la principale menace de leur équivalent marin. Il suffi t en effet que la température de l’océan augmente de quelques degrés pour que le polype expulse les zooxanthelles pourtant indispensables à sa survie. Sans ces algues microscopiques, le corail se dépigmente, ne reçoit plus les éléments nutritifs essentiels à son développement et fi nit par mourir. Si les scientifiques s’intéressent depuis de nombreuses années au processus de blanchissement des coraux, très peu d’études ont permis d’évaluer l’impact, à large échelle, sur les peuplements de poissons récifaux. Des travaux récents menés dans l’océan Indien par une équipe internationale, dont une chercheuse de l’IRD, permettent de mieux mesurer les conséquences, sur les peuplements de poissons, du blanchissement corallien lié à l’épisode El Niño de forte intensité survenu en 1997-1998. L’élévation de température qui résulte de cette anomalie climatique régionale provoque, en février 1998, le blanchissement massif de près de la moitié des coraux de l’océan Indien, soit le plus important phénomène de ce genre depuis que les biologistes étudient cet écosystème. Pour les besoins de leur étude, les scientifiques ont confronté les données concernant les peuplements de poissons de 66 sites coralliens de sept pays différents (Maldives, archipel des Chagos, Kenya, Seychelles, Tanzanie, îles Maurice et La Réunion), recueillies au milieu des années quatre-vingt-dix à celles qu’ils ont collectées en 2005. En superposant ces informations, les chercheurs sont parvenus à dresser un bilan à l’échelle régionale de l’impact du blanchissement de 1998 sur les récifs coralliens. Leur analyse montre que la diminution de la proportion de corail vivant et l’altération de sa complexité architecturale constituent deux facteurs déterminants dans la modification de la structure des communautés de poissons récifaux. Après la mort du corail, les algues envahissent rapidement l’espace laissé disponible par les coraux morts, uniformisant ainsi l’habitat. La mortalité qui résulte du blanchissement affecte plus particulièrement les coraux constructeurs de récifs. Or, les édifices calcaires qu’ils élaborent servent d’abri et de nurserie à des dizaines d’espèces de poissons. Le déclin massif du corail touche donc celles qui dépendent étroitement des colonies coralliennes, soit pour se nourrir, comme les poissons papillons corallivores, soit pour se protéger, comme les petits poissons demoiselles. Lorsque leurs effectifs régressent, ces espèces sont souvent remplacées par des poissons herbivores (poissons perroquets, poissons chirurgiens…) adaptés à la consommation des algues proliférant sur le corail mort. Certaines, tels que les poissons du genre Segastes, peuvent alors envahir les récifs coralliens recouverts d’algues, comme cela s’est produit sur plusieurs sites après le blanchissement massif de 1998. Par ailleurs, sur la soixantaine de sites étudiés, neuf sont inclus dans des aires marines protégées où la pêche est strictement interdite depuis le milieu des années soixante. Comme on pouvait s’y attendre, les scientifiques ont observé, après le blanchissement, une densité de poissons et une taille des spécimens plus importante dans ces réserves marines. Les coraux n’ont en revanche pas reconquis plus rapidement ces zones protégées. La faible régénération corallienne serait en partie liée au fait que ces périmètres de protection strictes sont proches de l’équateur, où le réchauffement des eaux océaniques survenu en 1998 a été le plus intense. Ces résultats, qui mettent en évidence ses effets délétères sur les récifs, montrent qu’il est nécessaire de concevoir des aires marines protégées spécialement dédiées à la protection du corail. La création d’un réseau d’aires marines protégées suffisamment éloignées de l’équateur pour limiter au maximum l’élévation de la température des océans liée au réchauffement climatique global, pourrait constituer, au niveau régional, des zones refuges efficaces à la fois pour la conservation des coraux et des espèces de poissons intiment liées à l’écosystème récifal.

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