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EN DIRECT DES LABORATOIRES, NOVEMBRE 2014

Parce qu’ils sont situés au sommet des chaînes alimentaires, les prédateurs supérieurs accumulent les contaminants dans leur organisme. C’est notamment le cas du mergule nain, le plus commun des oiseaux marins de la zone arctique. Des chercheurs du laboratoire LIttoral, environnement et sociétés (LIENSs) et du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE) ont, pour la première fois, étudié la contamination saisonnière de cette espèce migratrice par une approche associant la bio-télémétrie à des analyses de mercure et d’isotopes stables de carbone. Leurs travaux, publiés fin août 2014 dans la revue Environmental Science & Technology, révèlent que les mergules nains sont davantage contaminés au cours de leur hivernage au large de l’île de Terre-Neuve que durant les cinq mois qu’ils passent en Arctique.

Portés par les courants atmosphériques, les polluants industriels, comme le mercure, s’accumulent en grande quantité dans la zone arctique. Si de nombreuses études ont déjà montré sans ambiguïté les effets toxiques de ce contaminant sur la faune sauvage de cette région qu’en est-il des prédateurs tels les oiseaux migrateurs qui n’y séjournent qu’une partie de l’année ? Les travaux d’une équipe franco-canadienne, cofinancés par l’Institut polaire français Paul-Emile Victor (IPEV) et la Commission européenne, répondent pour la première fois à cette question. Les chercheurs se sont pour cela intéressés à une population de mergules nains qui nichent sur la côte est du Groenland. Comptant entre 40 et 80 millions de représentants, cette espèce d’oiseau marin est de loin la plus abondante de l’Arctique. « Aucune étude n’avait jusqu’à aujourd’hui pris en compte le problème de l’exposition au mercure de tels prédateurs supérieurs en dehors de l’Arctique, souligne Jérôme Fort, biologiste au LIENSs et principal auteur de ces travaux. Cette approche est pourtant essentielle car une contamination survenant au cours de la période d’hivernage affecte la physiologie, le comportement ou la survie d’individus qui regagnent ensuite les écosystèmes arctiques pour s’y reproduire. »

Pour mener à bien cette étude, les scientifiques ont équipé les oiseaux d’appareils électroniques miniaturisés permettant de suivre leur position géographique quotidienne tout au long de l’année. Ils ont ensuite combiné, pour la première fois, ces données à des analyses de mercure et d’isotopes stables du carbone mesurés sur des échantillons de sang et de plumes. Les chercheurs ont ainsi constaté que les mergules nains hivernant dans l’Atlantique Nord-ouest, au large de l’île de Terre-Neuve étaient en moyenne 3,5 fois plus contaminés que pendant leur période de reproduction en zone arctique. Leurs résultats montrent également que les femelles ayant accumulé les plus fortes concentrations de mercure en hiver produisent des œufs de taille réduite l’été suivant. Plus préoccupant : l’un des sites d’hivernage des mergules nains situé 1000 km à l’est des côtes de Terre-Neuve est associé à une contamination au mercure particulièrement élevée. Or cette zone de l’océan Atlantique voit affluer chaque hiver des dizaines de millions d’oiseaux marin. « En utilisant plus fréquemment les prédateurs supérieurs de l’Arctique comme bioindicateurs, nous parviendrions à identifier à plus large échelle les zones les plus exposées sur lesquelles appliquer des mesures de protection particulières », conclut Jérôme Fort.

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