JOURNAL DU CNRS N°266, MAI-JUIN 2012
Dans le sud de l’Ardèche, des scientifiques réalisent une cartographie en 3D de l’aven d’Orgnac, un réseau souterrain classé Grand site de France. L’objectif de ce travail: retracer le fil des évènements naturels qui ont façonné cette cavité.
Coincé entre les gorges de l’Ardèche et celles de la Cèzel’aven1 d’Orgnac est l’une des grottes les plus visitées de France. En ce mois de mars, les chercheurs réunis autour de Stéphane Jaillet, géomorphologue au laboratoire Environnements, dynamiques et territoires de la montagne, profitent de la faible affluence touristique pour en compléter la cartographie. Munis de combinaisons de spéléologie ils plongent dans les profondeurs de la cavité pour rejoindre le reste du groupe déjà à pied d’œuvre. Le faisceau des lampes frontales qui balaye les parois donne alors la mesure des gigantesques volumes. Comment ces cathédrales souterraines ont-elles bien pu se former ? Un scénario existe. Les scientifiques sont là pour l’étayer.
Constituée d’une succession de salles dont les plafonds dépassent parfois 50 mètres de haut, ce réseau de 5 kilomètres de long résulte de l’écoulement très lent d’une rivière souterraine durant l’ère Pliocène (-5,3 à -2,5 millions d’années). Tout en se frayant un chemin dans la roche calcaire, le cours d’eau a déposé des couches successives de sédiments. Résultat, le niveau de la rivière est monté, creusant le réseau vers le haut. Puis, à l’ère quaternaire, depuis environ 2 millions d’années, les eaux d’infiltration ont évacué la quasi-totalité des dépôts sédimentaires, conférant à Orgnac son aspect monumental.
Pour mieux connaître le détail de ces mécanismes, les chercheurs élaborent une cartographie précise de l’aven se fondant sur les relevés topographiques en 2D, des carottages de stalagmites et même des images en 3D grâce à la technique de lasergrammétrie, peu utilisée en milieu souterrain. « Cette technique limite au minimum notre impact sur le milieu », souligne Stéphane Jaillet. A Orgnac, le relevé lasergrammétrique des parois des Salles rouges une imposante galerie de 40 mètres de diamètre sur 120 mètres de long, a déjà permis d’établir avec précision les limites successives du remplissage sédimentaire de l’ère pliocène. Puis, en cartographiant une forêt de stalagmites située dans la partie non aménagée de la grotte, l’équipe s’est ensuite focalisée sur la phase d’évacuation de ces sédiments au cours de l’ère quaternaire. Parce qu’elle s’est accompagnée d’un glissement progressif du sol, cette évacuation peut se lire dans la croissance de certaines stalagmites dont la forme est coudée. Si les chercheurs avaient déjà pu identifier plusieurs phases d’évacuation en prélevant deux de ces concrétions atypiques, d’autres analyses destructives étaient impossibles sur ce site classé. « La réalisation d’un clone numérique de la forêt de stalagmites s’est imposée comme la meilleure solution pour poursuivre nos investigations », indique Stéphane Jaillet.
Lorsque s’achève la cartographie de la Salle de Joly, au départ de la zone aménagée, les ultimes rayons de soleil transpercent l’entrée naturelle de la grotte. Piège implacable pour la faune sauvage, ce gouffre a également servi de vide-ordures naturel pour les hommes qui fréquentèrent le plateau ardéchois au cours des derniers millénaires, comme en atteste le cône d’éboulis situé en contrebas. La fouille de cette structure géologique, supervisée par le musée d’Orgnac en novembre 2011, devrait contribuer à mieux cerner le contexte environnemental et climatique qui accompagna son édification. Ce cône constitue un terrain d’investigation supplémentaire pour l’équipe de Stéphane Jaillet. « Lorsqu’ils explorent les strates géologiques d’un site, les archéologues ont coutume de dire qu’ils détruisent le document à mesure qu’ils le déchiffrent, note le chercheur. En modélisant avec une grande précision la physionomie du cône d’éboulis avant chaque nouvelle campagne de fouille, nous évitons que les pages de ce récit ne brûlent à mesure qu’elles sont lues. »