BRAZIL: INDIGENOUS PEOPLE DAWN OCCUPYING HIGHWAY IN PROTEST

CNRS LE JOURNAL, SEPTEMBRE 2020

Comment la pandémie provoquée par le SARS-Cov-2 a-t-elle affecté les populations autochtones ? C’est ce qu’a tenté de savoir l’anthropologue Irène Bellier, directrice de recherche au CNRS, en analysant un vaste corpus de données autour de cette question.

Pouvez-vous tout d’abord rappeler ce que recouvre le terme « peuples autochtones » ?
Irène Bellier¹ Cette expression formalisée par les Nations unies à partir des années 1970 regroupe un ensemble de peuples, de nations et de communautés qui occupaient des territoires avant l’arrivée des premiers colonisateurs. À l’échelle de la planète, cela recouvre près de 6 000 sociétés dont les effectifs varient de plusieurs centaines de milliers de personnes à quelques dizaines d’individus. Au sein des Nation unies, qui les reconnaissent désormais comme des peuples à part entière, les sociétés autochtones sont réparties en sept grandes régions : l’Afrique, l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud et les Caraïbes, l’Arctique, l’Asie, l’Océanie et la Fédération de Russie. Alors qu’elles représentent à peine 5 % de la population mondiale et se distribuent dans 90 pays, leur mode d’occupation territoriale et d’exploitation des ressources les amènent à protéger 80 % de la biodiversité planétaire.

En tant qu’anthropologue et vice-présidente du Groupe de travail international pour les peuples autochtones (Gitpa), vous avez rédigé un rapport offrant un panorama assez large de l’impact du Covid-19 parmi ces populations ? Quels étaient les objectifs de ce travail ?
I. B. Celui-ci visait à cerner les effets de cette maladie sur ces sociétés vulnérables car démographiquement faibles et socialement fragiles. Il s’agissait de comprendre de quelle manière la problématique était appréhendée par les peuples autochtones. Pour cela, j’ai collecté des données relatives aux sept grandes régions évoquées précédemment par le biais des réseaux sociaux et de divers médias en ligne en langue française, anglaise et espagnole. Pour le continent sud-américain, j’ai aussi recueilli des témoignages directs de certaines communautés. Afin d’élargir le champ de mes investigations, je me suis également appuyée sur les données collectées par des organisations internationales travaillant sur la question des peuples autochtones comme le Groupe de travail international sur les affaires autochtones (IWGIA).

Quels principaux enseignements avez-vous pu tirer de l’analyse de ces données ?
I. B. Si le coronavirus présente un caractère inédit pour l’ensemble de l’espèce humaine, les taux de mortalité sont plus élevés chez la plupart des autochtones en raison de leurs conditions socio-économiques défavorables qui accentuent leur vulnérabilité face à ce nouvel agent infectieux. De manière frappante, cette pandémie a ravivé parmi les sociétés autochtones les souvenirs des épidémies dévastatrices du passé. C’est tout particulièrement le cas dans les Amériques où l’on estime que la population amérindienne a perdu 90 % de ses effectifs originels du fait des épidémies de rougeole, de variole, ou de grippe auxquelles ces peuples ont été confrontés au cours de leur histoire.

Comment expliquer la surmortalité au coronavirus dans ces sociétés ?
I. B. Aux États-Unis, la surmortalité observée chez les « natifs américains » tels que les Navajos ou les Cheyennes, résulte de l’absence de points d’eau à proximité des habitations et de la rareté des centres hospitaliers dans les réserves indiennes. Par ailleurs, les Amérindiens du Nord ainsi que les Aborigènes d’Australie présentent également des facteurs de comorbidité (maladies cardiovasculaires, obésité, diabète, etc.) qui affectent leurs capacités de résistance au virus. Enfin, l’ensemble des autochtones de la planète souffrent en même temps d’autres maladies graves telles que le paludisme, la dengue ou la tuberculose.

Dr. Ryan Close, left, an Indian Health Services physician, and J.T. Nashio, right, a community health worker, check on Judie Declay, who lives on the Fort Apache Indian Reservation in Arizona, on July 8, 2020.  (Tomás Karmelo Amaya/The New York Times)

 

De quelles manières ces populations ont-elles réagi face à cette menace ?
I. B. De nombreuses communautés ont pris la décision de bloquer l’accès à leur territoire avant même que la fermeture des frontières ne soit décrétée au niveau national. Très rapidement après le début de l’épidémie, ces populations ont cherché à savoir quels étaient les points d’entrée potentiels du virus sur leur territoire. En Amérique du Sud, les colons, les orpailleurs, les ouvriers de l’industrie pétrolière ont été pointés du doigt et se sont vu interdire l’accès aux villages. Les autochtones qui s’étaient rendus dans les grands centres urbains pour y trouver du travail ont cherché à revenir dans leurs communautés mais ont dû observer une période de quarantaine, à l’écart du village avant de pouvoir rentrer. Ces peuples ont réactivé une pratique ancienne, employée pour tous ceux qui reviennent d’un voyage en ville, en souvenir de précédentes épidémies importées par des personnes extérieures à la communauté. Ainsi, les Yanomami du Brésil ou les Orang Rimba de l’île indonésienne de Sumatra ont-ils choisi de se réfugier au cœur de la forêt, à distance des foyers de contamination.

Ces mesures de protection ont-elles été efficaces ?
I. B. Chez les Maihuna du Pérou, la décision de fermer le territoire et d’appliquer des gestes barrières tout en encadrant les déplacements vers la ville pour s’approvisionner en médicaments a permis de limiter la propagation de l’épidémie au sein de ce peuple qui ne compte que cinq cents individus. Mais dans la plupart des cas où une communauté prit l’initiative de contrôler l’accès à son territoire, la mesure ne fut guère respectée par les non-autochtones ou les autorités gouvernementales.

Coronavirus - Brazil

 

Face à l’incurie des autorités, certains peuples autochtones ont-ils eu recours à des formes de savoirs traditionnels pour se protéger du coronavirus ?
I. B. Confrontés à l’absence de tests, de médicaments ou de produits de désinfection, des communautés ont en effet mis à contribution toute une pharmacopée à même de stimuler les défenses immunitaires de l’organisme et de protéger l’appareil respiratoire contre les infections. Agissant par infusion, fumigation ou lors de sudation, les usages des plantes correspondent à des modes traditionnels de traitement des maladies chez de nombreux peuples autochtones. Dans une certaine mesure, l’épidémie de Covid-19 a relancé le recours aux plantes médicinales chez les autochtones.

De quelle manière ces sociétés, qui restent connectées à leur environnement, ont-elles analysé l’origine de cette pandémie ?
I. B. Chez les peuples autochtones, il existe un lien très fort entre la « santé » du territoire et la santé des individus. Ils ont conscience que les modes d’exploitation des ressources comme la déforestation, l’extraction minière et pétrolière ou les cultures intensives de soja sont néfastes pour la santé de leur territoire et, par voie de conséquence, pour celle des personnes qui y vivent. En Amérique, la maladie est perçue comme le signe d’un désordre, rattaché à la rupture des équilibres entre « nature » et « culture ». Pour les Mapuches du Chili, cette épidémie serait le résultat de transgressions sur les espaces sacrés que sont la mer, les collines, les lacs et les rivières, à la suite de la mise en exploitation industrielle de ces territoires.

Votre analyse montre également que les méfaits du Covid-19 ne se cantonnent pas au seul registre sanitaire pour les autochtones.
I. B. Avec la crise du coronavirus, plusieurs projets visant à exploiter les ressources naturelles des territoires autochtones ont été mis en œuvre sans aucune consultation préalable des peuples concernés. Depuis le début de la pandémie, la violence n’a d’ailleurs fait qu’augmenter dans leurs lieux de vie. Or le droit international et, depuis 2007, la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, invitent les États à consulter ces populations sur tous les projets susceptibles d’affecter leur mode de vie, et cela pour obtenir leur consentement. Mais avec la pandémie, ces processus ont été stoppés. Au nom du « développement économique », nombre de projets d’exploitation minière, pétrolière, agro-industrielle, ont pu passer en force et la France ne fait pas exception à cette situation. En mai dernier, la commission départementale des mines de Guyane a donné un avis favorable à un nouveau projet de mine d’or à ciel ouvert sans prendre la peine de consulter les autochtones vivant dans la région concernée.

Note:

  1. Directrice de recherche au CNRS, au Laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales (Laios) de l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (CNRS/EHESS).

Photo 1 : Le 18 août 2020, les indigènes du peuple Kayapó ont bloqué la route BR-163 pour protester contre le manque de moyens face au Covid-19, et réclamer une concertation avec les autorités sur un projet de transport ferroviaire des céréales dans la région (Brésil, Etat du Pará). © Fernando Souza/ZUMA/REA
Photo 2 :  Un médecin des services de santé indiens examine une habitante de la réserve de Fort Apache, en Arizona, le 8 juillet 2020. Le taux de contamination au Covid-19 des Apaches de White Mountain a été plus de dix fois supérieur à celui de l’ensemble de l’État. © TOMAS KARMELO AMAYA/The New York Times-REDUX-REA
Photo 3 : Des chasseurs indigènes de Satere-Mawe portent des masques de protection pendant la chasse (10 mai 2020, Manaos, Brésil). © Lucas Silva/DPA via ZUMA Press/REA

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