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EN DIRECT DES LABORATOIRES, JUILLET 2016

En dépit de son isolement, la zone arctique concentre nombres de substances toxiques comme les polluants organiques persistants. Des chercheurs du Centre d’études biologiques de Chizé (CEBC, CNRS/Université de La Rochelle) et de l’Institut polaire norvégien, soutenus par l’Institut polaire Paul-Émile Victor, ont voulu vérifier l’impact de l’un d’entre eux, un pesticide organochloré, sur la faune sauvage de la région. Pour cela, ils ont mesuré la concentration d’une molécule dérivée de ce pesticide ainsi que la longueur des télomères chez plusieurs mouettes tridactyles (Rissa tridactyla) de l’île du Spitzberg. L’étude publiée dans Science of the Total Environment démontre que les oiseaux les plus contaminées sont ceux ayant les télomères les plus courts. Ces travaux, les premiers de ce type menés chez un animal sauvage, suggèrent par ailleurs une sensibilité plus importante des femelles à l’égard des pesticides organochlorés.

Les régions situées au-delà du cercle polaire arctique sont les plus affectées par les émissions polluantes. A la faveur des courants atmosphériques, l’Arctique a vu affluer au cours des dernières décennies une kyrielle de substances très toxiques (DDT, PCB, pesticides organochlorés, etc.) en provenance d’Europe et d’Asie. Mais alors que l’impact de ces polluants organiques persistants (POPs) sur la santé des peuples autochtones, comme les Inuits, est désormais bien documenté, qu’en est-il de la faune sauvage de l’Arctique? C’est ce qu’a voulu vérifier une équipe internationale, réunissant plusieurs chercheurs du CNRS, en prenant comme modèle d’étude la mouette tridactyle (Rissa tridactyla).

A proximité de la station scientifique norvégienne de Ny-Ålesund, située dans le nord de l’île du Spitzberg, les biologistes ont d’abord capturé, pendant la période de reproduction, 38 de ces oiseaux marins sur lesquels ils ont effectué une prise de sang. Ces prélèvements sanguins leur ont permis de sexer les volatiles et de mesurer la concentration en oxychlordane dans leur organisme. Cette molécule est la forme environnementale du chlordane, un pesticide organochloré faisant partie de ces fameux POPs, particulièrement toxiques pour les animaux. Pour chaque mouette, l’équipe a également mesuré la longueur des télomères. Régions hautement répétitives d’ADN situées à l’extrémité des chromosomes, les télomères raccourcissent à chaque division cellulaire. Une attrition inexorable qui peut être accentuée par un large éventail de facteurs environnementaux, tels que le stress. « L’influence des polluants sur la longueur des télomères étant en revanche très mal connue, notre étude visait à vérifier s’il existait une relation entre ce paramètre et le niveau d’exposition à l’un d’entre eux », précise Olivier Chastel, directeur de chercheur CNRS au CEBC et dernier auteur de l’étude.

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Leurs analyses révèlent que des télomères plus courts sont observés chez les mouettes tridactyles les plus fortement contaminées par l’oxychlordane. Cette étude est la première du genre à mettre en évidence, chez un animal sauvage, une relation négative et significative entre un POPs et la diminution de la longueur des télomères. Cette dernière pourrait expliquer le plus faible taux de survie précédemment rapporté par cette même équipe chez les mouettes tridactyles les plus exposées à l’oxychlordane. Les travaux que les scientifiques viennent de publier semblent pour leur part attester d’une sensibilité accrue des femelles à ce pesticide organochloré. Pour Olivier Chastel, cela n’a rien de très surprenant : « En période de reproduction, les femelles dépensent beaucoup plus d’énergie que les mâles, notamment lors de la ponte, ce qui accentue d’autant plus leur sensibilité à ce type de contaminants qui a pour principal effet de diminuer la résistance des organismes qui y sont exposés. »

© photos: Pierre Blévin / CEBC-CNRS

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