JOURNAL DU CNRS, N°264, JANVIER-FÉVRIER 2012
Introduite dans le lac Victoria par des colons anglais en mal de pêche sportive, la perche du Nil y a éradiqué une grande partie des espèces de poissons autochtones, contribuant à une chute spectaculaire de la biodiversité du plus grand lac d’Afrique. Si de tels impacts sont désormais bien documentés localement qu’en est-il à l’échelle de la planète toute entière? Une étude sur la biodiversité globale des poissons d’eau douce publiée récemment dans les « Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS) » par une équipe franco-belge apporte pour la première fois un éclairage sur cette question.
Les chercheurs se sont intéressés à 1000 fleuves et rivières repartis sur les cinq continents. Ils y ont comparé la composition actuelle des espèces avec celle d’avant la période industrielle. Ils ont ainsi pu mesurer l’évolution du pourcentage de ressemblance de peuplement entre les différents cours d’eau. En soustrayant le pourcentage passé du pourcentage actuel, on obtient le taux d’homogénéisation. Au niveau mondial, celui-ci ne dépasse guère 0,5% mais il atteint 10% entre certains cours d’eau de l’hémisphère Nord.
Les scientifiques ont ensuite croisé ces données avec la part des espèces non natives présentes dans chaque grande région biogéographique1. Résultat : les principales zones d’introduction se superposent avec les régions où la « banalisation » des espèces est la plus marquée. « En intensifiant les échanges entre les pays développés, les activités humaines ont facilité l’introduction puis la diffusion d’espèces exotiques à très large échelle », commente Sébastien Villéger écologiste au Laboratoire évolution et diversité biologique de Toulouse2 et principal auteur de cette étude. Ce n’est donc pas tant une diminution de la biodiversité qui explique cette uniformisation que l’introduction d’une poignée d’espèces qui, à l’image de la carpe commune ou de la truite arc-en-ciel, ont fini par coloniser tous les continents. Alors que cette étude écarte le risque d’une homogénéisation mondiale massive ou homogocène des peuplements de poissons d’eau douce, le niveau d’homogénéité élevé qu’elle révèle dans certains cours d’eau devrait inciter la communauté scientifique à évaluer plus précisément les risques écologiques encourus par ces écosystèmes.
- Grande surface terrestre dotée d’une unité écologique.
- Unité CNRS/Université Toulouse-III/Enfa.