JOURNAL DU CNRS N°251, DÉCEMBRE 2010

Toutes les études microbiologiques menées à Lascaux sont formelles:  la cavité fourmille de bactéries et de champignons. Invisibles à l’œil nu, ces micro-organismes ne représentent pas un réel danger pour les fresques vieilles de 18 000 ans. Excepté lorsque l’un d’entre eux se met à proliférer. Sur le front de ces contaminations, la plus préoccupante aujourd’hui concerne des champignons mélanisés. Les fauteurs de trouble sont ainsi surnommés car leur prolifération se traduit par la formation d’auréoles sombres sur les parois qu’ils investissent. Ces taches noires pourraient constituer une réaction de défense à un stimulus extérieur (source de lumière artificielle, traitement chimique antérieur…). Leur expansion serait facilitée par la présence de collemboles, des arthropodes de 1 millimètre de long aperçus près de ces taches. Ceux-ci, en se nourrissant du mycélium des champignons, dissémineraient en effet ses spores et en accéléreraient la colonisation. Observées pour la première fois au printemps 2006, ces taches sont désormais localisées sur les parois du Passage, de l’Abside et de la Nef . Pour Claude Alabouvette, microbiologiste à l’Institut national de recherche agronomique de Dijon, chargé d’inventorier les populations microbiennes de Lascaux, ces organismes fongiques ont toujours été présents dans la cavité : « S’ils se sont mis à proliférer, c’est que les conditions environnementales leur sont devenues favorables dans certains secteurs de la cavité », assure le scientifique.

Les fongicides mis en cause
Quelles furent les causes de cette soudaine prolifération ? « Les analyses effectuées sur les prélèvements des zones de contamination visibles nous ont permis d’identifier plusieurs espèces du genre Scolecobasidium », poursuit Claude Alabouvette. En parallèle, une équipe de microbiologistes japonais a montré, que ces champignons sont capables d’utiliser les détergents à base d’ammonium quaternaire comme unique source de carbone et d’azote. Or, ces produits chimiques entrent juste ment dans la composition des fongicides employés contre les moisissures blanches de Fusarium solani apparues en 2001, puis plus récemment contre les champignons mélanisés eux-mêmes. La nature ayant horreur du vide, les Scolecobasidium se seraient empressés de coloniser l’espace laissé libre par d’autres espèces plus sensibles aux traitements, parmi lesquelles figuraient très certainement les Fusarium. Les champignons mélanisés auraient de surcroît pu bénéficier d’une source de matière organique inespérée fournie par les fongicides successifs. Pour se prémunir contre d’autres retours de bâton de ce type, des scientifiques italiens ont récemment proposé une nouvelle stratégie de lutte fondée sur l’énergie électromagnétique des micro-ondes. « Contrairement aux traitements biocides, cette méthode, qui consiste à éliminer les souches fongiques en les chauffant, présente l’avantage de ne laisser aucun résidu organique potentiellement exploitable par d’autres micro-organismes », souligne Piero Tiano, de l’Institut pour la conservation et la valorisation des biens culturels de Florence. En Toscane, le procédé a déjà permis d’éliminer des colonies de champignons recouvrant le mur décoré d’une tombe étrusque sans que cela n’altère les peintures. Cette méthode peu invasive pourrait constituer une alternative aux produits chimiques dans le traitement des contaminations fongiques de Lascaux.

Privilégier la non-intervention
Devant la difficulté d’anticiper les effets collatéraux de nouveaux traitements sur la stabilité microbienne, le conseil scientifique privilégie pour l’heure une politique de non-intervention. L’idée d’un grand projet d’écologie microbienne visant à inventorier de la façon la plus exhaustive possible les populations microbiennes de Lascaux, en particulier dans les zones non contaminées, fait donc son chemin. « Il est nécessaire de déterminer les équilibres qui s’établissent entre ces populations, commente Thierry Heulin, chercheur au sein de l’unité Biologie végétale et microbiologie environnementales1 de Cadarache et membre du conseil scientifique. La finalité d’un tel  programme est d ’acquérir une connaissance à la fois temporelle et spatiale de l’écosystème microbien. » Depuis l’interruption des traitements chimiques – le dernier remonte au mois de janvier 2008 –, doublée d’une présence humaine réduite à la portion congrue, Lascaux semble retrouver peu à peu une certaine stabilité. Comme en témoigne l’actuelle régression des taches noires dans l’Abside et dans la Nef. « D’après nos dernières observations visuelles, 1 % des peintures sont aujourd’hui atteintes par ce phénomène », estime Jean-Michel Geneste, membre de l’unité de recherche Pacea2, responsable des études scientifiques au sein de la cavité. La mélanine étant un pigment organique, elle a en effet tendance à s’estomper naturellement avec le temps. Cela est notamment le cas au-dessus des cornes de la grande vache noire, où les auréoles, encore nettement visibles il y a quelques mois, se font plus discrètes. Des signes de rémission qui pourraient signifier que cette contamination ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir.

www.cnrs.fr