EN DIRECT DES LABORATOIRES, AVRIL 2016
L’histoire évolutive de populations appartenant à une même espèce peut s’avérer plus complexe qu’il n’y paraît. Des chercheurs du Laboratoire Évolution et Diversité Biologique (EDB, CNRS/ Université Toulouse III-Paul Sabatier /ENFA) de Toulouse et du Muséum de Sciences Naturelles de Madrid ont pu le démontrer chez le Zostérops gris de La Réunion (Zosterops borbonicus), un passereau endémique de cette île de l’Océan Indien. Leurs travaux publiés récemment dans Journal of Evolutionary Biology, comparent d’un point de vue morphologique et génétique des représentants de l’espèce vivant le long d’un gradient altitudinal sur la côte Ouest de l’île. En mettant en évidence un changement brutal de la composition génétique des individus vers 1400 mètres d’altitude, cette analyse suggère que nous sommes en présence non pas d’une seule et même entité évolutive mais de deux groupes de populations ayant chacun sa propre histoire évolutive.
Les espèces qui occupent une large gamme d’altitudes suscitent l’intérêt des biologistes car elles leur offrent l’opportunité d’analyser la capacité de réponse évolutive des organismes en fonction des changements environnementaux. Le Zostérops gris de La Réunion (Zosterops borbonicus) est à ce titre un modèle de choix. Ce petit oiseau qui ne vit qu’à La Réunion a en effet la particularité d’être présent sur l’ensemble de l’île, des zones côtières jusqu’au sommet des montagnes, à plus de 3000 mètres d’altitude. Pour la première fois une équipe internationale constituée de scientifiques du Laboratoire Évolution et Diversité Biologique (EDB) de Toulouse et du Muséum de Sciences Naturelles de Madrid a entrepris une étude de la variabilité morphologique et génétique des populations de Zostérops en fonction de leur répartition altitudinale, en se focalisant sur les versants ouest de l’île. Les chercheurs ont pour cela capturé des centaines d’oiseaux dans un large éventail d’écosystèmes allant de la savane côtière aux landes de haute altitude, en passant par les forêts humides de montagnes. Ils ont ensuite recueilli des données morphométriques (poids, longueurs du bec et de la queue, etc.) pour chaque individu « L’analyse de ces données nous a permis de mettre en évidence une variation régulière des caractéristiques morphologiques des oiseaux en fonction de l’altitude », résume Christophe Thébaud, professeur à l’Université de Toulouse, chercheur en biologie évolutive au sein du laboratoire EDB, et co-auteur de l’étude.
A partir d’un prélèvement sanguin effectué sur chaque oiseau avant qu’il ne soit relâché, les biologistes ont également pu mener une étude de génétique des populations à l’échelle de l’ensemble des localités échantillonnées. Via une dizaine de marqueurs moléculaires localisés en différentes régions du génome de Z. borbonicus, ils ont pu quantifier le niveau de différenciation génétique entre populations le long du gradient altitudinal. En confrontant ces résultats aux données morphologiques, les chercheurs ont alors constaté l’existence d’un changement brutal de la composition génétique des populations à une altitude intermédiaire. « Cela signifie que les populations de Zostérops présentes le long de ce gradient appartiennent en fait à deux ensembles de populations qui se sont retrouvés isolés géographiquement par le passé », explique Christophe Thébaud. Ces deux ensembles de populations, l’un de basse altitude et l’autre de haute altitude, se rencontrent aujourd’hui de manière ponctuelle vers 1400 mètres au-dessus du niveau de la mer. Contrairement à l’hypothèse communément admise jusqu’ici, les représentants de Z. borbonicus qui occupent le versant ouest de La Réunion ne correspondent donc pas à une seule entité évolutive mais à deux groupes de populations en grande partie différenciés, ce qui incite à les considérer comme des espèces à part entière. Ces travaux confirment par ailleurs l’importance de prendre en compte l’histoire évolutive des populations et des espèces lorsque l’on étudie la réponse des organismes aux changements environnementaux.
© photo: Christophe Thébaud