CNRS LE JOURNAL, AVRIL 2016
Pour mieux former certains personnels médicaux face aux situations de crise comme les attentats, une équipe pluridisciplinaire de chercheurs met au point un simulateur virtuel doté d’intelligence artificielle.
Les attentats du 13 novembre 2015 l’ont rappelé de la plus triste des manières : face à une attaque de grande ampleur faisant des centaines de victimes, les secouristes qui font appel à des procédures et à des gestes techniques bien définis peuvent se sentir désemparés. C’est pour les aider à affronter de telles atrocités qu’un groupe de chercheurs travaille depuis près d’un an sur le projet Victeams², un simulateur d’un nouveau genre. « Notre objectif est de définir un environnement virtuel pour la formation des équipes médicales chargées d’organiser les secours après un afflux massif de victimes, comme cela est susceptible de se produire lors d’un attentat, un conflit armé ou une catastrophe industrielle », résume Domitile Lourdeaux, enseignante-chercheuse en informatique au laboratoire Heudiasyc² et coordonnatrice du projet. Informaticiens, psychologues, ergonomes et didacticiens du travail, chercheurs en neurosciences mais aussi médecins militaires et sapeurs-pompiers, l’équipe réunit une vingtaine de personnes, chacune apportant son savoir-faire pour la mise au point du futur simulateur.
Compléter la formation existante
Pour se préparer à intervenir lors de ces situations délicates, les équipes de secouristes français participent déjà à des jeux de rôle grandeur nature. Ils s’entraînent aussi régulièrement sur des mannequins capables de reproduire de manière très réaliste blessures par balle et fractures de toutes sortes. S’ils demeurent indispensables, ces exercices souvent centrés sur l’apprentissage des gestes techniques n’incitent pas suffisamment les équipes à développer une conscience collective de la situation à affronter. Ces outils de simulation ne retranscrivent pas non plus la charge émotionnelle à laquelle est soumis un secouriste qui intervient dans un contexte aussi angoissant qu’une guerre ou un attentat terroriste. « Parmi les logiciels de simulation déjà disponibles, l’accent est mis avant tout sur le triage des victimes en fonction de la gravité de leurs blessures, souligne Domitile Lourdeaux. L’aspect relationnel de la gestion d’équipe est rarement pris en compte par ces dispositifs alors qu’il s’avère souvent essentiel lors d’une intervention médicale qui se déroule dans un contexte de crise. »
Pour intégrer ces dimensions à leur futur simulateur, les membres de Victeams s’appuient sur l’expérience de terrain de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et des médecins militaires de l’École du Val-de-Grâce : incendies d’immeubles à Paris, attaques de convois militaires au Mali et en Afghanistan, attentats de janvier et novembre 2015, etc. Ils mettent par ailleurs à profit les connaissances pratiques et théoriques du Limsi³ sur le fonctionnement psychologique de l’être humain et celles de l’Institut de recherche biomédicale des armées (Irba) dans le domaine de l’apprentissage et du développement des compétences professionnelles.
Un environnement virtuel à visage humain
Les chercheurs vont ensuite devoir traduire ces données en langage informatique. Un travail fastidieux qu’ils ont découpé en différents modules. Certains concernent des modèles mathématiques qui décrivent l’activité de chaque personnel soignant intervenant dans un poste de secours. D’autres s’attellent à déterminer les compétences non techniques, telles que le leadership ou la coopération, sur lesquelles focaliser l’entraînement des secouristes tout en définissant des profils psychologiques capables de retranscrire l’éventail des sensations qu’éprouvent ces mêmes secouristes durant l’intervention. Les conséquences du stress sur les capacités cognitives des différents individus présents (infirmiers, médecins, blessés, etc.) font également partie des paramètres que doivent coder les chercheurs à l’aide d’algorithmes. L’ensemble des modules servira à animer avec le plus de réalisme possible des personnages virtuels autonomes qui évolueront dans le simulateur. Ces avatars, dont la modélisation biomécanique est confiée aux scientifiques du List-CEA, endosseront le rôle des personnels soignants mais aussi des patients acheminés jusqu’au poste de secours.
« Pour que les futurs utilisateurs de notre simulateur puissent jouir d’une très grande liberté d’apprentissage, les personnages qui le peupleront ne devront pas suivre un scénario défini à l’avance, comme c’est généralement le cas dans un jeu vidéo. Ils devront au contraire faire preuve d’une grande autonomie en prenant des décisions au cours de la simulation en fonction de différents paramètres », précise Nicolas Sabouret, enseignant-chercheur en intelligence artificielle au Limsi, chargé de la mise au point de ces personnages dématérialisés. C’est en cela que le projet Victeams se démarque des autres simulateurs virtuels. Objectif de cette approche : faire en sorte que les personnages virtuels soient dotés d’une forme d’intelligence artificielle suffisamment élaborée pour leur permettre d’interagir avec les futurs apprenants sur un plan non seulement professionnel mais aussi social et émotionnel.
Une version test bientôt disponible
Enfin, ces personnages « intelligents » seront incorporés dans un environnement virtuel immersif qui reproduira avec force détails un poste de secours en trois dimensions. Muni d’un casque de réalité virtuelle, un médecin ou un infirmier pourra alors interagir avec des blessés et des personnels soignants virtuels. Pour le premier démonstrateur expérimental, opérationnel en juin prochain, les chercheurs de Victeams ont choisi de se focaliser sur un patient blessé par balle. Les médecins de l’École du Val-de-Grâce chargés de tester ce dispositif pourront y interagir avec un médecin, un infirmier et un aide-soignant virtuels. Durant les premières simulations, ces avatars seront guidés par une procédure établie à l’avance. Mais, au fil des mois, ils gagneront peu à peu en autonomie et en complexité. En parallèle, le nombre de patients à prendre en charge et la diversité des blessures rencontrées augmenteront progressivement.
« Au cours des deux années qui viennent, nous avons prévu de mettre sur pied trois démonstrateurs successifs avant que le simulateur définitif ne voie le jour, précise Nicolas Sabouret. Avec l’aide des médecins relevant du service de santé des armées et de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, qui seront les principaux utilisateurs de cet outil, nous veillerons ainsi à ce que le comportement des personnages virtuels demeure cohérent en dépit de leur complexité croissante. » Une fois finalisé, ce simulateur d’avant-garde sera doté d’un moteur de scénarisation. Grâce à ce procédé innovant, il sera alors possible d’adapter la complexité et le niveau de stress des situations d’urgence aux compétences de chaque utilisateur.
Notes:
1. Virtual Characters for Team Training : Emotional, Adaptive, Motivated and Social (Agents virtuels émotionnels, adaptatifs et sociaux pour la formation d’équipes). Cofinancé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et la Direction générale de l’armement (DGA), ce projet, débuté en 2014, s’achèvera en 2019. Il bénéficie également du soutien de la Région Picardie et du Fonds européen de développement régional (Feder).
2. Heuristique et diagnostic des systèmes complexes (CNRS/UTC).
3. Laboratoire d’informatique pour la mécanique et les sciences de l’ingénieur (Unité propre du CNRS).
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