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CNRS LE JOURNAL, OCTOBRE 2016

En janvier, des scientifiques partaient en mission sur le site hydrothermal de Dallol, dans le nord de l’Éthiopie. Contre toute attente, ils ont découvert des traces de vie dans cet environnement extrême. Retour sur cette expédition à l’occasion de la diffusion d’un documentaire diffusé dimanche prochain.

Découvrir pour la première fois le site de Dallol, c’est un peu comme débarquer sur une autre planète : sources chaudes acides, concrétions soufrées d’un vert phosphorescent, geysers d’où s’échappent des vapeurs de gaz toxique, mares saumâtres composent cet environnement unique au monde. Situé au nord-est de l’Éthiopie, à quelques kilomètres de la frontière avec l’Érythrée, Dallol s’apparente à un dôme d’une quinzaine de kilomètres carrés façonné par les remontées d’eaux chaudes du système hydrothermal. Le site repose en outre sur une couche de sel de 2 000 mètres d’épaisseur en plein cœur de la dépression Danakil, région parmi les plus chaudes et arides de la planète. Difficile d’imaginer que la vie a pu élire domicile en un lieu aussi inhospitalier. C’est ce qu’est pourtant parvenue à démontrer pour la première fois une équipe de scientifiques internationale1.

Des records de salinité, d’acidité et de température

En janvier 2016, ce groupe constitué de microbiologistes, de géologues et de cristallographes arpente le site deux semaines durant2. Leur objectif : prélever un maximum d’échantillons (eaux salées, fluides hydrothermaux et acides, encroutements, etc.) et mesurer les paramètres physico-chimiques dans les vasques et les geysers qui jalonnent le site. Très vite, les scientifiques sont frappés par les niveaux de saturation en sel relevés. Dans certaines mares saumâtres il avoisine les 50 %, soit un taux de salinité deux fois plus élevé que celui de la mer Morte. Il en va de même du pH qui bat ici tous les records d’acidité, et de la température qui dépasse régulièrement les 100°C à la sortie des geysers.

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« Le caractère exceptionnel de Dallol tient en grande partie à la coexistence de ces trois paramètres extrêmes au sein d’un même environnement », souligne Purificación López-García, directrice de recherche CNRS au laboratoire Écologie, systématique et évolution³ d’Orsay et coordinatrice de la mission avec David Moreira, également directeur de recherche au CNRS et membre de son équipe. Pour cette spécialiste des micro-organismes des milieux extrêmes, Dallol pourrait aussi constituer un milieu analogue aux environnements présents sur Terre il y a plus de 3,5 milliards d’années, lorsque la vie fit son apparition : « Dallol fait en quelque sorte figure de modèle scientifique à ciel ouvert pour comprendre le fonctionnement de notre planète à une époque où la géologie dominait encore la biologie. »

Les investigations se poursuivent en laboratoire

De retour à l’université Paris-Sud d’Orsay, la biologiste se consacre immédiatement à l’étude des nombreux prélèvements ramenés d’Éthiopie. Les premières analyses révèlent la présence de micro-organismes dans certains d’entre eux. Grâce au microscope électronique, les scientifiques parviennent par ailleurs à repérer de très petites cellules dans quelques échantillons. Il s’agit d’archées, organismes unicellulaires qui ressemblent aux bactéries sur le plan morphologique, dont une bonne partie affectionne les milieux extrêmes comme les sources hydrothermales des dorsales océaniques. « La taille étonnamment réduite des cellules d’archées que nous avons identifiées dans nos prélèvements est sans doute la conséquence d’une adaptation à un milieu très pauvre en ressources énergétiques », précise Purificación López-García.

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Parallèlement à ces observations, les chercheurs réussissent à cultiver une poignée de micro-organismes en laboratoire. Ils parviennent ainsi à démontrer que l’une des archées identifiées est capable de se développer dans un milieu à la fois sursaturé en sel et très acide. Ce résultat surprenant est pourtant loin de refléter la diversité du bestiaire microscopique de Dallol, la plupart des organismes unicellulaires étant en effet résistants à la culture in vitro. « D’autres études, toujours en cours, reposant à la fois sur l’analyse de gènes permettant de discriminer chaque espèce de bactérie ou d’archée et sur celle de leurs génomes, vont nous permettre de mesurer cette diversité et de déterminer les adaptations moléculaires développées par chacun de ces organismes », détaille la chercheuse du CNRS. Les premières conclusions de cette analyse d’ADN environnemental attestent d’ores et déjà que certains des micro-organismes découverts à Dallol sont très proches, sur le plan génétique, de ceux vivant dans les saumures au voisinage des sources chaudes localisées au fond de la mer Rouge et de la Méditerranée. « Cela renforce l’hypothèse très répandue selon laquelle des conditions physico-chimiques comparables conduisent à des adaptations similaires de la part des micro-organismes », assure Purificación López-García.

Un site géologique vivant mais menacé

Si la présence de la vie à Dallol ne fait aujourd’hui plus aucun doute, le site hydrothermal est loin d’avoir dévoilé tous ses secrets. Une nouvelle expédition pourrait d’ailleurs être organisée dans les prochains mois afin de réaliser des prélèvements dans les secteurs encore inexplorés du dôme. Les chercheurs comptent également pratiquer des analyses isotopiques sur des fluides enrichis en hydrocarbures qui les ont particulièrement intrigués lors de leur première visite « Nous voulons vérifier si cette matière organique est entièrement d’origine biologique ou si une partie est au contraire issue de l’activité hydrothermale, explique Purificación López-García. Auquel cas, l’environnement de Dallol présenterait également un intérêt pour explorer les conditions possibles de l’apparition de la vie sur Terre. »

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Retourner au plus vite à Dallol c’est aussi le souhait du réalisateur Olivier Grunewald. Pour ce photographe passionné de volcanologie, à l’initiative de la mission de janvier 2016, il y a urgence à mieux connaître et protéger ce site exceptionnel. « Nous avons réalisé ce documentaire pour faire connaître Dallol du grand public mais aussi pour interpeller les autorités éthiopiennes sur la nécessité de le protéger alors qu’un projet d’exploitation de la potasse, présente en abondance dans le sous-sol de la région, est en passe de voir le jour. » Les scientifiques redoutent en effet que l’extraction à grande échelle de ce minerai perturbe le fonctionnement du système hydrothermal de Dallol et finisse par conduire à son asséchement. Pour éviter que ce site unique au monde ne disparaisse, Olivier Grunewald et l’équipe de chercheurs réunie autour de Purificación López-García veulent désormais convaincre le gouvernement éthiopien de proposer son classement au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Notes :

  1. Outre des chercheurs du laboratoire Écologie, systématique et évolution, la mission a réuni des scientifiques du laboratoire d’études cristallographiques de l’université de Grenade, de l’Institut géologique et minéral d’Espagne, de l’Université autonome de Madrid et de l’institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie de Paris (CNRS/Université Pierre et Marie Curie/MNHN/IRD).
  2. Le projet a été financé par la Fondation Iris dont l’objectif est de promouvoir la préservation de l’environnement.
  3. Unité CNRS/Université Paris-Sud/AgroParisTech.

 

Photo 1: Le site éthiopien de Dallol est façonné par les remontées d’eaux chaudes du système hydrothermal.  © O.GRUNEWALD
Photo 2: Collecte d’échantillons par les scientifiques (ici, Purificación López-García et Ludwig Jardillier). Certaines mares affichent un taux de salinité deux fois plus élevé que celui de la mer Morte.  © O.GRUNEWALD
Photo 3: Analyse des échantillons au sein du laboratoire Écologie, systématique et évolution d’Orsay.  © O.GRUNEWALD
Photo 4: La poussière de soufre contenue dans le sol s’échauffe parfois et décharge ces flammes bleues caractéristiques.  © O.GRUNEWALD

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