JOURNAL DU CNRS, N°258-259, JUILLET-AOÛT 2011

On pensait le site hydrothermal de Lost City incapable d’abriter une faune importante. L’étude de son double fossile prouve le contraire.

Une forêt de flèches de cathédrales blanches, parfois hautes de 60 mètres… Et seuls quelques rares animaux vivants, ici ou là. Lost City, la cité perdue, découverte en 2000 au fond de l’Atlantique, est bien loin de l’image de paradis luxuriant que présentent les sites hydrothermaux classiques. En général, les cheminées sous-marines qui crachent leur eau chaude abritent une vie foisonnante et des animaux de grande taille. Pourquoi ceux-ci semblent avoir disparu à Lost City? Jusqu’à présent, les scientifiques estimaient que la chimie des fluides de ce site, uniques en leur genre, en était responsable. Or la découverte d’un ancien site du même type et l’étude récente des fossiles présents et de leur environnement par des chercheurs du Laboratoire d’écogéochimie des environnements benthiques (Lecob) remettent en cause cette théorie.

 UN ENVIRONNEMENT HOSTILE ?
Sur un site hydrothermal classique, les cheminées minérales se forment par remontée d’une eau très chaude et très acide, et surtout chargée en métaux et en sulfure au contact de chambres souterraines emplies de magma. Des bactéries dites chimiosynthétiques transforment cette manne en carbone dont tirent leur énergie bivalves, vers et crevettes. À Lost City, les cheminées sont faites de carbonates. Le fluide y est alcalin au lieu d’être acide, sa composition est riche en méthane et en hydrogène, et il circule non pas sous l’influence de la chaleur des chambres magmatiques, mais de celle libérée par l’altération du manteau terrestre. « Malgré un fluide tout aussi énergétique, indique Nadine Le Bris, chimiste au Lecob et spécialiste des écosystèmes chimiosynthétiques profonds, l’aspect désertique de Lost City laissait penser que l’environnement y était hostile aux espèces hydrothermales les plus productives. » Mais, en 2008, à bord du navire océanographique français L’Atalante, une équipe internationale dirigée par Jérôme Dyment, de l’Institut de physique du globe de Paris, remonte d’une zone située près de la dorsale médio-atlantique des échantillons de carbonates qui renferment une très grande quantité de moules fossiles. Le site est baptisé Ghost City, la cité fantôme.

L’EXEMPLE DE GHOST CITY
Les analyses révèlent aujourd’hui la présence de trois espèces de bivalves et de cinq espèces de gastéropodes, toutes peuplant les profondeurs de l’océan il y a 110 000 ans. « En comparant la structure cristalline des carbonates de Ghost City avec celle de ceux de Lost City, située à plus de 1 000 kilomètres, nous avons constaté que les deux sites étaient associés au même type de fluide », souligne Franck Lartaud, géochimiste au Lecob qui a mené cette analyse. Ghost City apparaît donc comme l’alter ego fossile de Lost City et prouve que les fluides qui circulent dans ce type d’hydrothermalisme seraient bien assez énergétiques pour héberger une biomasse importante. « La découverte est d’importance, se réjouit Nadine Le Bris, tant sur le plan géochimique qu’écologique, car elle renforce l’hypothèse d’une large distribution de ces sites sur les fonds océaniques. » Reste à comprendre comment ces sites, parfois très distants les uns des autres, sont colonisés, et pourquoi certaines populations animales disparaissent, comme cela semble avoir été le cas pour Lost City.

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