INRA, PORTAIL ACTUS, NOVEMBRE 2016
Des chercheurs de l’Inra et du CNRS, en collaboration avec des scientifiques nord-américains, ont mis au point une nouvelle méthode d’analyse de la toxicité des insecticides chez l’abeille. Ce dispositif expérimental mesure les conséquences de la liaison de l’insecticide à des canaux ioniques de l’insecte exprimés in vitro dans des œufs d’amphibien.
Depuis plusieurs décennies les populations d’abeilles domestiques (Apis mellifera) subissent des mortalités importantes. Outre les maladies (virus) ou les parasites (varroa), les scientifiques ont montré que les insecticides utilisés pour protéger les cultures des insectes nuisibles comptaient parmi les principaux facteurs impliqués dans ce phénomène d’ampleur planétaire. Mais alors que le lien entre un niveau d’exposition élevé des abeilles à ces substances et leur surmortalité a pu être établi sans équivoque, les effets des insecticides à des doses non mortelles, dites « sublétales » (1), restent encore très peu documentés et ne sont pas pris en compte dans l’évaluation du risque. Pour tenter d’en savoir plus à ce sujet, les chercheurs de l’Unité Abeilles et Environnement de l’Inra d’Avignon, étudient depuis plusieurs années l’action des insecticides sur des neurones d’abeilles en culture.
Un modèle cellulaire plus résistant
En 2011, ils ont ainsi été les premiers à démontrer que les pyréthrinoïdes, famille d’insecticides neurotoxiques actuellement parmi les plus répandus, bloque la transmission de l’influx nerveux en se fixant sur les canaux sodiques situés dans la membrane des neurones de l’abeille. « La grande majorité des insecticides neurotoxiques actuellement sur le marché en France agissent au niveau de ces protéines membranaires, précise Claude Collet, de l’Unité Abeilles et Environnement. Il est donc essentiel de mieux cerner leur mode d’action au niveau cellulaire pour anticiper leurs effets délétères chez l’abeille. » Etudier de manière systématique l’action de tous les membres de la famille des pyréthrinoïdes sur des neurones d’abeilles in vitro peut toutefois s’avérer délicat en raison du rendement peu élevé de ce genre d’approches. Afin de contourner cet obstacle, les chercheurs de l’Inra et leurs collaborateurs (2) ont mis au point un nouveau dispositif expérimental à la fois plus robuste et efficient. A partir du génome de l’abeille domestique, ils ont tout d’abord isolé le gène codant pour le canal sodique de l’insecte. Les scientifiques ont ensuite réussi à induire in vitro l’expression de cette protéine dans des ovocytes d’amphibien.
Observation microscopique d’un chapelet de neurones d’abeille in vitro.
Une microélectrode placée sur la troisième cellule nerveuse en partant
du bas permet de mesurer l’activité neuronale. © Inra, Claude Collet
Prédire la toxicité des insecticides
Ce système expérimental breveté s’apparente à une cellule de grande taille dont la membrane contient de nombreux canaux sodiques. Il permet non seulement d’étudier les interactions moléculaires entre ces canaux et les substances insecticides mais aussi de prédire la toxicité qui en résulte. Les premiers tests effectués montrent que ce système fonctionne avec deux insecticides de la famille des pyréthrinoïdes de structure moléculaire différente. Ce modèle expérimental se prête donc à des tests de screening à moindre coût de panel de différentes substances insecticides, ce qui permettrait de sélectionner les moins toxiques.« Mieux encore, une meilleure connaissance des sites de liaison devrait permettre de choisir des insecticides sans la moindre toxicité pour les abeilles, car n’ayant aucune affinité pour leurs canaux ioniques », assure Claude Collet. Par ailleurs, la possibilité de tester plusieurs insecticides simultanément ouvre la perspective d’étudier les effets « cocktail » (3) des substances existantes, qui, avec les effets chroniques, constituent actuellement deux défis majeurs de l’évaluation en toxicologie.
(1) Même à des niveaux d’exposition insuffisants pour entraîner la mort d’un organisme, les substances toxiques peuvent provoquer des effets délétères chez celui-ci, tels que des déficits olfactifs ou locomoteurs.
(2) Cette étude est le fruit d’un partenariat international entre des chercheurs de l’Unité Abeilles et Environnement de l’Inra d’Avignon, du Centre de Recherche de Biochimie Macromoléculaire de Montpellier (CNRS, Université de Montpellier), de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (IUSMQ) (Université Laval de Québec, Canada) et de l’Université Temple de Philadelphie (Etats-Unis).
(3) Effet cocktail (ou de synergie, ou supra-additif) : lorsque des substances sont plus toxiques en mélange qu’appliquées séparément.
Photo 1 : Oeufs de Xénope. © Inra